2 parents qui aident au coloriage de 2 enfants

7 clés pour mieux élever ses enfants

 

Reproduit avec une permission spéciale de Marie-Claire

 

Elle résout comme par miracle les conflits de la vie quotidienne. Mise au point par un psychologue spécialiste de la communication, elle établit un nouveau dialogue entre parents et enfants. Elle développe l’autonomie des jeunes en les encourageant à trouver eux-mêmes la solution de leurs problèmes. Mais attention : elle exige des adultes le dur effort de considérer les enfants comme des personnes et non comme des petits robots. Plusieurs millions de parents ont déjà tenté l’expérience avec succès. Pourquoi pas vous ?

Voici une expérience simple que vous pourrez réaliser la prochaine fois que vous verrez un petit enfant se cogner contre un coin de table : commencez par lui dire que ce n’est rien, que cela va passer, qu’il est bien trop grand pour pleurer, ou tout autre argument employé habituellement dans ce type de situation. L’enfant redoublera ses pleurs. Dites-lui en­suite : « Tu t’es cogné contre la table et cela doit te faire très mal. Vous constaterez avec surprise qu’il cessera immédiatement de pleurer.

La même expérience peut être réalisée avec une grande personne, par exemple un de vos collègues de bureau. Vous vérifierez aisément que « Ce n’est rien », « Cela va passer », « Vous êtes bien trop grand pour crier comme un enfant », déclencheront une réaction agres­sive et augmenteront la tension, alors qu’une simple description de l’événement faite avec sympathie aura un effet apaisant.

Il est vrai que si la personne qui se cogne est adulte, vous choisirez pro­bablement la seconde méthode. Pour­quoi n’en est-il pas de même lorsqu’il s’agit d’un enfant ? Peut-être parce que vous considérez que les enfants ne sont pas des personnes.

À partir de cette idée simple : « Les enfants sont des personnes », le psychologue Thomas Gordon a mis au point une nouvelle méthode d’éducation qui a transformé la vie des parents et des enfants sur tous les continents. Cette méthode vise à modifier la psychologie des parents : les enfants, eux, savent qu’ils sont des personnes et n’ont pas besoin qu’on le leur explique.

Pauvres parents ! On n’hésite pas à mettre sur leur dos toutes les fautes commises par leurs enfants. Mais qui leur apprend à devenir parents, à accomplir une des tâches les plus difficiles qui soient au monde ?

Le psychologue Gordon a changé le cours de sa carrière pour le leur enseigner. Plusieurs millions de parents en 44 pays ont participé à la formation Parents efficaces et plus nombreux encore les parents qui ont lui son livre en 24 langues.

Les parents élèvent leurs enfants de la façon dont eux-mêmes l’ont été, et leurs parents avant eux, comme si la psychologie n’avait pas progressé depuis le siècle dernier. Pour­quoi les parents n’apprendraient-ils pas les techniques qu’utilisent les psychologues face aux enfants ? Pourquoi ont-ils encore recours aux punitions corporelles, auxquelles les écoles et les éduca­teurs en général, ont renoncé ?

Sans doute parce que personne ne leur a proposé d’autre méthode. Parce que ceux qui ont abandonné la méthode ancienne sans la remplacer par quoi que ce soit ont eu aussi des ennuis. Les enfants élevés de façon trop permissive sont égoïstes, mal adaptés à la société, et méprisent leurs parents.

La méthode Parents efficaces encourage le dialogue entre parents et enfants, et encourage les enfants à chercher leur propre solu­tion à leurs problèmes. Ainsi les enfants deviennent-ils plus autonomes… et les parents se trouvent déchargés de pas mal de soucis.

 

1ère clé : Distinguer les problèmes : est-ce celui de l’enfant ou celui des parents ?

Le problème appartient à l’enfant lorsque celui-ci n’arrive pas à satisfaire un besoin, est frustré, privé d’un plaisir.

Cependant, si le comportement de l’enfant gêne ses parents, l’enfant n’a aucun problème, le problème appartient au parent.

Quand l’enfant et le parent sont satisfaits, il n’y a pas de problème !

Dans le cas où l’enfant a un problème, l’adulte peut aider, conseiller, sym­pathiser. Mais, en dernier ressort, le problème doit être résolu par l’enfant lui-même. En cherchant à résoudre le problème à sa place, on fait sentir à l’enfant qu’il n’est pas autonome et qu’on ne lui fait pas confiance.

Voici un exemple de dialogue qui tourne mal :

Éric : Sébastien ne veut pas jouer avec moi. II ne veut jamais faire ce que je demande.

Mère : Eh bien, pourquoi ne ferais-tu pas plutôt ce qu’il veut lui ? (La mère cherche à résoudre elle-même le problème.)

Éric : Il n’a que des idées idiotes, il m’embête.

Mère : Tu n’as qu’à jouer avec quelqu’un d’autre, puisque tu es si difficile ! (Elle propose une seconde solution.)

Éric : C’est lui qui est difficile, pas moi. Et je n’ai pas envie de jouer avec quelqu’un d’autre.

Mère : Tu es fatigué, on en repar­lera demain quand tu seras de meilleure humeur (Elle tente d’éluder le problème.)

Éric : Je ne suis pas fatigué et ça n’ira pas mieux demain. Je déteste ce petit salaud !

Mère : Je t’interdis d’être gros­sier… (Elle menace.)

Éric : Je te déteste aussi…

Avec un peu d’écoute active, le dia­logue s’arrange souvent ainsi :

Éric : Sébastien ne veut pas jouer avec moi. Il ne veut jamais faire ce que je demande.

Mère : Tu es fâché contre Sébas­tien ?

Éric : Ça oui ! Je ne veux plus jouer avec lui. Ce n’est plus mon ami.

Mère : Tu es si fâché que tu ne veux plus jamais le voir ?

Éric : C’est ça. Sauf que dans ce cas, je n’aurai plus personne avec qui jouer.

Mère : Cela t’ennuierait de te retrouver tout seul ?

Éric : Oui. Je crois que je ferais mieux de m’entendre avec lui. Mais c’est difficile de ne pas me mettre en colère contre lui.

Mère : Tu ne peux pas t’empêcher de te mettre en colère ?

Éric : Avant, c’était différent, il voulait bien faire ce que je voulais. Mais il ne me laisse plus le commander.

Mère : Tu trouves maintenant plus difficile de t’entendre avec lui.

Éric : Ben oui, c’est plus un bébé. Évidemment, c’est plus amusant…

Mère : Il te plaît mieux comme cela ?

Éric : Oui, mais j’ai du mal à ne pas le commander comme avant. On se disputerait moins si je le laissais faire ce qu’il veut de temps en temps. Tu crois que cela marcherait ?

Mère : Tu penses que tu pourrais céder de temps en temps…

Éric : Oui, je peux essayer cela.

La mère n’a proposé aucune solu­tion, se contentant d’aider Éric à se comprendre, à résoudre lui-même le problème et à acquérir par la même occasion un peu de maturité.

Gordon rapporte des situations réelles dans lesquelles des parents ont appliqué avec succès sa méthode. Par exemple, un enfant de huit ans avait énormément de mal à s’endormir. Après avoir tenté de le convaincre logiquement de la nécessité du sommeil, après l’avoir menacé, la mère finit par recourir à l’écoute active.

Elle découvre qu’un camarade de classe a convaincu l’enfant qu’on pouvait s’étouffer dans son sommeil si on ne respirait pas par le nez. Il est souvent enrhumé et, depuis des années, a peur de s’asphyxier et de ne pas se réveiller !

Lorsqu’un enfant est anxieux parce que ses parents sortent le soir, parce que sa poupée favorite a été oubliée chez des amis, parce qu’il doit cou­cher dans une chambre inconnue, l’écoute active produit des résultats immédiats. L’enfant n’a pas besoin qu’on le rassure quant au retour de ses parents ou de sa poupée ; il a besoin de savoir qu’on comprend son anxiété.

Zoé, âgée de trois ans et demi, se mit à pleurer quand sa mère, partie faire des courses, la laissa dans la voiture avec son beau-père. « Je veux maman, je veux maman ! » Le beau-père lui ayant répété vingt fois que sa mère revenait tout de suite, elle changea de refrain : « Je veux mon ours, je veux mon ours ! »

Finalement, le beau-père pensa à l’écoute active :

Père : Ta maman te manque ?

Zoé : Oui.

Père : Tu n’aimes pas qu’elle parte sans toi ?

Zoé : Non.

Père : Comme tu n’as pas ta maman, tu voudrais avoir ton ours ?

Zoé : Oui.

Père : Mais tu ne l’as pas et tu es triste.

Alors, la petite fille cessa de pleurer, rampa jusqu’au siège avant et commenta de façon animée le passage des piétons sur le trottoir.

En cherchant à se débarrasser des pleurs par des arguments logiques, on n’obtient rien. L’enfant veut que l’on comprenne ses malheurs et qu’on sympathise avec lui.

L’écoute active permet encore de décoder les messages bizarres qu’en­voient parfois les enfants : « Tu crois que je me marierai un jour ? » « Est-­ce que c’est désagréable de mourir ? » « Papa, qu’est-ce qui te plaisait chez les filles quand tu étais un garçon ? »

Cette dernière question posée à Gordon par sa propre fille Judith, fut suivie du dialogue suivant :

Gordon : Tu te demandes ce que tu devrais faire pour plaire aux garçons, c’est ça ?

Judith : Oui, je ne sais pas pourquoi, mais je crois que je ne leur plais pas énormément…

Gordon : Tu ne sais pas très bien pourquoi ils ne t’apprécient pas.

Judith : Je crois que je ne parle pas assez. J’ai peur de parler devant les garçons.

Gordon : Tu n’arrives pas à être décon­tractée avec eux.

Judith : J’ai peur de dire des bêtises.

Gordon : Tu ne voudrais pas qu’ils te trouvent bête.

Judith : Voilà, alors si je ne dis rien, il n’y a pas de risque.

Gordon : Ça te paraît plus sûr.

Judith : Mais ça ne m’avance pas, parce qu’ils doivent me trouver ennuyeuse.

Gordon : Tu n’arrives pas à ton but en ne disant rien.

Judith : Non, je crois qu’il faut que je me lance…

Bien entendu, l’écoute active ne consiste pas à répéter comme un perroquet tout ce que dit l’enfant, ce qui ne pourrait d’ailleurs que l’éner­ver. Il s’agit de refléter les sentiments qui correspondent à ses paroles, de montrer qu’on le comprend.

Il est nécessaire, pour comprendre les sentiments d’un enfant, de s’ima­giner à sa place et d’accepter ses sentiments comme si on était soi-­même un enfant.

 

2e clé : Écouter vraiment son enfant : s’assurer de le comprendre

Lorsque les parents ont admis que leurs enfants, et eux-mêmes, sont des personnes, ils peuvent commencer à appliquer la première technique proposée par Thomas Gordon. Cette technique s’appelle l’écoute active, et a simplement pour but d’établir une bonne communication entre les deux personnes. En effet, de nombreux conflits dans tous les domaines (y compris les guerres) sont dus à des malentendus et disparaissent dès que l’on parvient à communiquer. La communication n’est pas tou­jours verbale. Le fait de montrer de la tolérance envers un enfant, par exemple, d’accepter ce qu’il fait et ce qu’il dit, est une façon puissante de lui communiquer que vous l’aimez et que vous ne cherchez pas à lui imposer systématiquement votre autorité.

Dans la conversation, votre non ­intervention, c’est à dire votre silence est un moyen d’aider votre enfant à aller au bout de ce qu’il veut dire, donc de l’aider à communiquer. Voici un exemple enregistré par le psychologue Gordon au cours d’une rencontre avec un enfant.

L’enfant : J’ai été envoyé chez le surveil­lant général aujourd’hui.

Le parent : Ah !

L’enfant : Oui, M. Laurier a dit que je parlais trop en classe.

Le parent : Je vois.

L’enfant : Je le déteste ce vieux con. Il nous parle à longueur de journée de ses problèmes de santé et il croit que ça nous intéresse. Quel ennui !

Le parent : Hum !

L’enfant : On fait rien, on devient fou ! Alors forcément, on bavarde, on se raconte des blagues. C’est drama­tique d’avoir un prof aussi mauvais.

Le parent : (Silence.)

L’enfant : On ne peut pas être bon élève avec un prof comme ça, on n’a vraiment pas envie d’apprendre quoi que ce soit.

Le parent : (Haussement de sourcils.)

L’enfant : Enfin, il vaut mieux que je m’y habitue, parce que je n’aurai pas toujours que de bons profs…

Dans ce dialogue, l’enfant peut exprimer sa colère contre le professeur jusqu’à ce qu’elle s’apaise, puis rai­sonner et résoudre seul son problème.

Si le parent intervient de la façon habituelle « Comment ? Chez le surveillant général ? Qu’est-ce que ça veut dire ? », « Eh bien, ça t’apprendra. », « Il n’est pas si mal, pourtant, ce M. Laurier. », « Écoute, mainte­nant que tu es grand, tu devrais apprendre à te contrôler », etc. Il témoigne à l’enfant une intolérance qui détournera la colère de l’enfant envers le professeur sur le parent et mettra fin brutalement au dialogue, donc à la recherche de solution.

Évidemment, le silence n’est pas toujours la meilleure façon de com­muniquer. Cependant, dès qu’on utilise des mots, on s’aventure sur le terrain glissant des douze réponses typiques des parents.

L’auteur de Parents efficaces invite les parents à faire l’exercice suivant pour mettre à jour leurs réponses typiques :

« Écrivez simplement sur une feuille de papier ce que vous diriez à votre adolescent de treize ans s’il décla­rait : « J’en ai assez de descendre la boîte à ordures ! Les parents de Max ne lui font pas faire ce genre de travail ! C’est pas juste ! C’est pas un travail pour un enfant ! » Imaginez ensuite que votre enfant de cinq ans, frustré parce qu’au lieu de vous occuper de lui, vous parlez à deux amis que vous avez invités chez vous, se met à hurler : « Vous êtes des vieux salauds dégoûtants. Je vous déteste ! » Que lui diriez-vous ?

Il est probable que vos réponses font partie d’une ou deux des douze catégories ci-dessous :

Donner un ordre, dire à l’enfant de faire quelque chose :

« Ce que font les autres parents m’importe peu, descends immédiate­ment les ordures ! »

« Je te défends de parler à ta mère comme ça ! »

Menacer, parler des consé­quences de l’action de l’enfant :

« Si tu n’y vas pas, tu auras des ennuis ! »

« Si tu recommences, tu vas te coucher tout de suite ! »

Faire la morale :

« Ce n’est pas bien d’agir comme tu le fais. »

« On doit respecter ses parents. »

Donner un conseil, suggérer une solution :

« Tu pourrais descendre les ordu­res le matin en partant pour l’école. »

«Tu devrais aller jouer dans ta chambre. »

Argumenter de façon logique :

« Si un jeune exerce des respon­sabilités dans la maison, cela le pré­pare à en exercer à l’âge adulte. »

« Nous nous sommes occupés de toi toute la journée et, maintenant, nous nous occupons de nos invités. »

Critiquer l’enfant :

« Ce n’est pas très malin de ta part. »

« Tu agis comme un bébé. »

Encourager l’enfant :

« Je crois que tu as raison. »

« Nous sommes tout à fait d’ac­cord avec toi. »

Ridiculiser :

« Tu es un enfant gâté. »

« Petit malpoli. »

Analyser son acte :

« En fait, tu es jaloux de Max. »

« Tu voudrais bien qu’on s’occupe de toi. »

Éluder le problème :

« Moi aussi, à ton âge, je pensais comme toi. »

« Si tu jouais avec ton nouveau garage »

Poser des questions :

« Tu n’as pas d’autre exemple que Max ? »

« Qui t’as appris le mot salaud ? »

Plaisanter :

« Tu n’as qu’à jeter les ordures sous ton lit. »

« Tu peux changer de parents, les voisins voudraient justement adop­ter un enfant. »

Imaginez, comme dans le cas de l’enfant qui se cogne, qu’un collègue de bureau vous fasse une des douze réponses typiques. Vous deviendriez agressif, vous vous mettriez à discu­ter, vous auriez l’impression que votre collègue ne vous fait pas confiance, vous méprise ou vous traite comme un enfant ! Vous seriez frus­tré car vous auriez l’impression que votre interlocuteur n’a pas vrai­ment compris ce que vous avez dit, ou bien que cela ne l’intéresse pas.

Les éducateurs professionnels et les psychologues évitent ces douze réponses typiques, qui ne font pas progresser le dialogue avec les en­fants. Ils préfèrent utiliser le plus possible des expressions qui démontrent leur attention à l’enfant, comme « Je vois », « Vraiment », « Ah bon », « Tiens », etc.

Cependant, l’écoute active va beaucoup plus loin que ces aides simples à la conversation. Elle consiste à comprendre le message qu’en­voie l’enfant, à retransmettre à l’en­fant ce que l’adulte a compris du message. En effet, un enfant trouve souvent difficile de formuler ce qu’il ressent ou ce qu’il désire (cela arrive aussi à de nombreux adultes).

 

Un enfant qui demande : « Quand allons-nous manger ? » peut avoir faim, ou bien avoir envie de voir l’émission de télévision qu’il regarde tous les soirs après dîner.

Les réponses : « Le repas n’est est pas prêt », « Attends un peu », « Tu mangeras avec tout le monde » conduisent à des conflits.

L’écoute active consiste à ren­voyer le message compris :

« Tu veux regarder ton émission ? »

« Non, j’ai vraiment faim et je voudrais que le dîner soit prêt. »

« Oh, je vois, tu as faim. Est-ce que tu veux une tartine en attendant l’heure du dîner ? »

« Oui, je veux bien. »

Ou bien :

« Tu as faim ? »

« Non, mais je voudrais déjà voir mon émission. »

« Tu voudrais qu’il soit déjà sept heures. Je vais allumer la télévision, tu verras que ton émission n’est pas encore commencée, mais tu pourras peut-être en regarder une autre en attendant le repas. »

Les enfants sont très heureux de savoir qu’on les comprend et l’écoute active les rapproche des adultes.

Les enfants apprennent à réfléchir. Ils n’ont plus l’impression que 1es adultes vont automatiquement résou­dre leurs problèmes et prendre les décisions à leur place.

L’écoute active aide l’enfant à devenir une personne et ne peut être efficace que si l’adulte considère que l’enfant est une personne, un individu unique, ayant ses propres pensées et ses propres opinions, indépendant et distinct de l’adulte.

L’écoute active est particulière­ment indiquée lorsque l’enfant se trouve face à un problème difficile à résoudre. Cependant, il ne faut pas alors confondre le problème du parent avec celui de l’enfant.

 

3e clé : Exprimer ses besoins : employer le message je, se montrer tel qu’on est.

L’écoute active permet d’apporter une solution aux problèmes qui appartiennent à l’enfant. Il existe évidemment aussi des problèmes qui appartiennent aux parents : un enfant joue dangereuse­ment près d’un vase de valeur ; un enfant a éparpillé ses jouets dans le salon ; un enfant vous interrompt lorsque vous parlez avec un ami ; un enfant veut que vous lui lisiez une histoire, puis une autre, etc.

Dans tous ces cas, l’enfant n’a aucun problème. Cependant, le parent se voit frustré d’un besoin ou menacé d’une initiative déplai­sante. Il peut essayer de modifier le comportement de l’enfant, ou bien modifier l’environnement, ou bien se modifier lui-même.

Olivier a pris les outils de son père et ne les a pas rangés. Le père peut tenter de modifier le comportement d’Olivier en lui parlant ; ou bien, il peut modifier l’environnement d’Oli­vier en lui achetant ses propres outils ; il peut enfin se modifier lui-­même en décidant qu’Olivier deviendra plus soigneux en grandissant…

Tenter de modifier le comporte­ment d’un enfant en lui parlant n’est pas toujours facile et conduit sou­vent à des conflits.

Par exemple, vous êtes fatiguée après une longue journée de travail et désirez vous reposer un peu dans un fauteuil en lisant Marie Claire. Mais votre enfant de cinq ans insiste pour que vous jouiez avec lui. Il vous tire par la manche, grimpe sur vos genoux, essaie de vous arracher le magazine. Voici quelques réactions typiques de parents dans cette circonstance :

« Va jouer ailleurs », « Arrête de déchirer le magazine », « Je vais me fâcher si tu ne cesses pas immédiate­ment », « Ce n’est pas gentil d’inter­rompre quelqu’un qui lit », « Pour­quoi est-ce que tu ne regarderais pas la télévision ?».

Ces messages proposent des solu­tions, en espérant que l’autorité parentale, la menace ou la ruse force­ront l’enfant à les appliquer.

L’enfant résistera probablement, car il considère qu’il aurait pu trou­ver une solution lui-même, que vous ne lui faites pas confiance, que vous agissez de façon égoïste. Imaginez que vous agissiez de la même façon avec un invité qui met ses pieds sur votre nouveau canapé : «Mets tes pieds ailleurs », « Je vais me fâcher si tu n’arrêtes pas », « Va donc regar­der la télévision », etc. C’est absurde !

Vous respectez vos amis, vous veillez à ce qu’ils ne «perdent pas la face ». Vous considérez que si vous leur expliquez le problème, ils sont assez intelligents pour trouver une solution. Vous formulerez plutôt un message exprimant votre inquiétude : « Je suis ennuyée, parce que je viens d’acheter ce canapé et je n’ai pas envie qu’il soit abîmé. »

Il n’est donc pas étonnant que les enfants se sentent brimés et perdent la face. Certains deviennent des moutons soumis qui attendent des adultes des solutions à tous leurs pro­blèmes.

Les parents envoient souvent des messages humiliants : « Tu n’es vraiment pas gentil », « Tu devrais avoir honte », «Tu fais l’intéressant », « Ton cousin ne se conduit jamais de cette façon. » L’enfant ne peut alors que se sentir coupable, trouver ses parents injustes, penser qu’il n’est pas aimé, se révolter, ou bien insulter à son tour ses parents.

Gordon propose, pour ces problèmes qui appartiennent aux parents, une méthode aussi simple et ingénieuse que l’écoute active. Il s’agit d’émettre un message je. Toutes les réponses citées plus haut sont des messages tu. « Tu vas arrêter immédiatement », « Tu devrais plutôt faire ceci ou cela…», « Tu n’es pas gentil », etc. Cependant, le message que vous émettez à votre invité sans-gêne est un message je. « Je suis ennuyée, parce que… » Voici d’autres mes­sages je : « Je ne peux pas me reposer quand quelqu’un grimpe sur mes genoux », « Je n’ai pas envie de jouer quand je suis fatiguée », « Je ne suis vraiment pas heureux quand je vois mon salon complètement en désordre. »

En fait, un message tu émis lorsque le problème appartient au parent représente une façon de déformer la communication encore plus déplorable que celle utilisée par un petit enfant sachant à peine parler.

Au lieu de dire « Je suis fatiguée », vous dites : « Tu n’es pas gentil. » L’enfant incapable de comprendre un message aussi abstrait, comprend : « Je suis méchant. »

Si vous dites simplement : « Je suis fatiguée », l’enfant comprend la situation et modifie probablement son comportement. Il ne se sent pas blâmé ou insulté.

De même, imaginez les réactions d’un enfant qui vient de vous donner un coup de pied. Vous répondez soit : « Aie ! Ça m’a vraiment fait mal. Je n’aime pas du tout être frappée. », soit : « Tu es méchant, on ne doit jamais donner de coups de pied comme ça. » Dans le premier cas, vous communiquez un fait qui ne peut pas être discuté. Dans le second cas, vous communiquez un jugement sur l’enfant et lui imposez un comportement. Il peut ne pas être d’accord, discuter, se révolter.

Un message je présente aussi l’avantage de laisser à l’enfant la responsabilité de changer son compor­tement. C’est encore une façon de l’aider à devenir autonome et à mûrir.

Émettre un message je de­mande un certain courage. On se dévoile, on se montre tel qu’on est, on montre qu’on est une per­sonne fragile et faillible. Mais l’en­fant est heureux de savoir que ses parents sont des personnes, et la relation parent enfant ne peut qu’être améliorée par la franchise et l’au­thenticité des sentiments.

Cependant, les messages je ne doivent pas être chargés de colère. Il est possible et souhaitable, d’éviter cet écueil.

Michèle a conclu un accord avec sa fille Sylvia : celle-ci rentrera du cinéma à minuit. Sylvia n’étant de retour qu’à une heure et demie, sa mère, qui est restée éveillée, inquiète et imaginant mille accidents, l’ac­cueille ainsi

Michèle : Je suis furieuse.

Sylvia : Bon, je suis en retard.

Michèle : Je ne suis pas très contente d’être restée éveillée par ta faute.

Sylvia : Tu n’avais qu’à dormir, au lieu de t’inquiéter.

Michèle : Dormir ? Mais j’étais furieuse et angoissée parce que je pensais que tu avais eu un accident. Je suis vraiment déçue que tu n’aies pas respecté notre accord.

Gordon a demandé à Michèle quel était son premier senti­ment lorsque sa fille est apparue : « J’étais soulagée qu’il ne lui soit rien arrivé. J’aurais voulu la prendre dans mes bras tellement j’étais heureuse. » Gordon lui fait alors rejouer la scène.

Michèle : Oh, Sylvia, Dieu merci, il ne t’est rien arrivé. Je suis si contente de te voir. Quel soula­gement. (Elle prend Gordon dans ses bras.) J’avais eu si peur que tu aies un accident.

Sylvia : Dis donc, tu as vraiment l’air heureuse de me voir !

Observant cette scène, le groupe applaudit la seconde Michèle… qui ne ressem­blait en rien à la première. Après ce début sincère de la confrontation, Michèle pouvait poursuivre en met­tant l’accent sur le fait que l’accord n’avait pas été respecté. Ses chances d’être entendue étaient certaine­ment meilleures que dans le premier cas.

Pour émettre un message je, il faut se connaître ou au moins savoir exprimer réellement ce que l’on ressent. Francis, six ans, frappe violemment son petit frère avec une raquette de tennis. «Je n’aime pas que tu frappes Alex », lui déclare sa mère, ce qui entraîne une récidive immédiate de l’acte.

Gordon fait remarquer à la mère qu’elle ne semblait pas très inquiète. « Oh, mais si, j’étais folle d’inquiétude, je pensais qu’il allait lui fracturer le crâne et qu’il y aurait du sang partout. » Il lui conseille alors, si le cas se reproduit, d’expri­mer exactement ses sentiments, ce qui sera peut-être plus efficace.

Il est important, selon Gor­don, de s’analyser, lorsqu’on est fâché, avant d’émettre le message « Je suis fâché » qui est culpabilisant. En général, on commence par être inquiet, effrayé ou soulagé comme Michèle. Si un enfant se conduit mal dans un restaurant, on est gêné avant d’être fâché. S’il oublie l’anniversaire de son père, le père est triste avant d’être fâché, et de lui dire « Tu es bien comme les jeunes d’aujour­d’hui, tes parents, tu t’en fiches. » S’il a un bulletin scolaire déplorable, ses parents sont déçus avant d’être fâchés, et de lui demander s’il est fier de lui et s’il est vraiment nécessaire qu’il poursuive ses études !

Les parents qui ont appliqué la méthode Gordon et ont émis des messages je ont eu la sur­prise d’entendre les enfants avouer : « Je ne savais pas que je te gênais », « Pourquoi ne me l’as-tu pas dit avant ? » « On dirait que tu ressens tout cela très fortement, hein ? » Les enfants, par manque d’expérience, ne s’aperçoivent pas toujours qu’ils dérangent les autres. Ils poursuivent aveuglément un but sans se préoccuper de l’effet qu’ils ont sur leur environnement. Il suffit souvent qu’on le leur dise pour qu’ils se mettent à faire attention.

Il convient aussi dans de nombreux cas de combiner un message je avec un peu d’écoute active :

Parents : Ça me dérange de voir toutes ces assiettes sales dans l’évier. On s’était pourtant mis d’accord pour que tu fasses la vaisselle après le dîner.

Max : Je me suis senti un peu fatigué après le dîner parce que j’ai révisé mon examen presque toute la nuit hier.

Parent : Tu n’avais pas envie de faire la vaisselle juste après le dîner.

Max : Non et je me suis assoupi jusqu’à neuf heures. Mais je compte la faire avant de me coucher. Ça marche ?

Parent : Ça marche.

 

4e clé : Modifier l’environnement : c’est tellement plus intelligent que d’interdire.

De nombreuses difficultés avec les petits enfants ‘peuvent être évitées en modifiant tout simplement son environnement. On peut enrichir l’environnement : ajouter des jouets, des puzzles, des livres, un tas de sable emporter des jouets lors d’un long voyage en voiture, qui occupent un enfant à des activités n’interférant pas avec celles des parents, ce qui évite les conflits. Un enfant doit posséder du matériel pour peindre, modeler, construire, etc. Les enfants ont besoin de faire des choses variées, intéressantes et nouvelles, comme les adultes.

Il est parfois nécessaire d’appau­vrir l’environnement : avant le cou­cher, enlever les jeux violents qui excitent un enfant et rendent probable un conflit au moment d’aller au lit.

L’environnement doit aussi être simplifié pour être a la portée de l’enfant : si ses vêtements sont suffisamment simples pour qu’il les mettent seul, il deviendra autonome plus vite, dépendra moins de ses parents et les dérangera moins. De même, une caisse ou un tabouret permettant à l’enfant de se hausser seul au niveau du lavabo est indispensable. Des porte manteaux à sa hauteur, des murs lavables dans sa chambre, etc.

Un problème dont la solution est une modification de l’environnement se pose lorsqu’un enfant joue avec un couteau, des flacons de parfum, un livre de valeur. Il convient de substituer au couteau un autre cou­teau ne coupant pas, au flacon des flacons vides ou contenant de l’eau, au livre un livre sans valeur ou un vieux magazine. En général, l’enfant accepte la substitution. Si on se contente d’ôter l’objet sans offrir de contrepartie, il sera frustré et pleu­rera.

D’autre part, une modification de l’environnement dont l’enfant n’a pas été averti à l’avance peut le trou­bler. S’il va à la campagne tous les samedis, il est bon de le préparer dès le jeudi à un week-end d’excep­tion à la ville. Les enfants s’adaptent facilement aux changements, à condi­tion qu’on prenne la peine de les pré­venir. Ceci est valable même dans le cas d’un événement désagréable, comme une visite chez le médecin. Lui en parler franchement en expli­quant même que cela peut faire un peu mal est la meilleure façon d’éviter un drame.

Les tout petits enfants ne sont pas les seuls à pouvoir bénéficier d’une modification de l’environne­ment. Voici quelques recommanda­tions de Gordon, s’appliquant à un enfant plus grand :

–   Lui acheter son propre réveil.

– Lui procurer une clé de l’appar­tement qu’il pourra porter autour du cou.

– Lui parler à l’avance de l’alcool, du tabac, des drogues.

– Veiller à ce qu’il connaisse votre numéro de téléphone et à ce qu’il ait toujours un moyen de vous télé­phoner.

–   Lui apprendre à écouter la météo le matin pour décider lui-même de la meilleure façon de s’habiller.

– Lui apprendre à noter les messa­ges au téléphone.

–   Frapper avant d’entrer dans sa chambre.

– Le faire participer aux discus­sions de famille le concernant.

De nombreux parents répugnent à modifier leur environnement pour une raison simple : ils considèrent que leur maison est à eux et non a leurs enfants. Donc, les enfants doivent s’adapter à la maison et non l’inverse. Pourtant, ils modifieraient leur maison si leur grand-mère venait s’y installer. Ils mettraient les objets courants sur des étagères basses à sa portée, ils lui procureraient une sonnette pour qu’elle puisse prévenir en cas d’ennui, etc. Ils tenteraient de la convaincre que la maison est sa maison aussi. Avec leurs enfants, ils agissent autrement. En général, ils les traitent beaucoup moins bien que des invités n’appartenant pas à la famille.

 

5e clé : Remplacer la lutte par la négociation : résoudre les conflits sans gagnant ni perdant.

Il est fréquent qu’un peu d’écoute active, une modification de l’envi­ronnement, un message je suffise à résoudre un conflit.

Il arrive aussi que le conflit per­siste malgré tout. L’enfant ne veut pas modifier son comportement, les parents tiennent à leur position, l’environnement ne joue aucun rôle. Un problème appartient à l’enfant et un autre problème appartient au parent dans la même situation : c’est un conflit.

Toute relation engendre des conflits, c’est normal. Une relation sans conflit est malsaine : une épouse soumise à son mari au point de ne jamais contester ses opinions, un enfant effrayé par ses parents, qui intériorise tous ses problèmes et devient névrosé.

Que se passe-t-il en général lorsqu’un conflit apparaît dans la relation parent ­enfant ? Une bataille a lieu, l’un des adversaires devient le gagnant et l’autre le perdant. Le parent autoritaire considère qu’il perdra son autorité s’il n’est pas toujours gagnant. Le parent permissif se laisse vaincre de peur de « traumatiser » son enfant. Les parents girouettes sont alternative­ment gagnants et perdants.

« Pourquoi discuter ? Ils finissent toujours par gagner », explique une fille de quinze ans. « Après tout, ce sont eux les parents et ils considèrent qu’ils ont toujours raison. Alors, je ne me donne plus la peine de leur parler. »

Le parent autoritaire décide de la solution du problème et cherche à l’imposer par la douceur, puis par la menace. Voici un autre exemple tiré de la relation de Gordon avec sa fille Judith, alors âgée de 14 ans. La version efficace suit la version inefficace.

Judith : Salut, je pars à l’école.

Gordon : Comment ? Mais il pleut, et tu n’as pas ton imperméable !

Judith : Pas besoin.

Gordon : Pas besoin ? Tu vas t’en­rhumer et abîmer ta robe.

Judith : Il ne pleut pratiquement plus.

Gordon : Mais si, il pleut.

Judith : Écoute, je ne veux pas le mettre. Je déteste les imperméables.

Gordon : S’il te plaît, mets-le, tu auras plus chaud et tu ne seras pas mouillée.

Judith : Je déteste cet imperméa­ble. Non, non et non !

Gordon : Tu vas remonter immédia­tement dans ta chambre et prendre cet imperméable ! Ou bien, je ne te laisse pas partir.

Judith : Oh, ça m’embête…

Gordon : Pas de « Oh». Si tu ne le mets pas, tu restes ici.

Judith : Bon, tu as gagné ! Je vais mettre cette horreur…

Dans l’hypothèse inverse, l’enfant impose sa solution en forçant le parent à céder :

Judith : Salut, je pars à l’école.

Gordon : Comment ? Mais il pleut et tu n’as pas ton imperméable ?

Judith : Pas besoin.

Gordon : Pas besoin ? Tu vas t’en­rhumer et abîmer ta robe.

Judith : Il ne pleut pratiquement plus.

Gordon : Mais si, il pleut.

Judith : Écoute, je ne veux pas le mettre. Je déteste les imperméables.

Gordon : Je veux que tu le mettes.

Judith : Je ne supporte pas cet imperméable. Si tu me forces à le mettre, je serai furieuse contre toi.

Gordon : Bon, j’abandonne ! Sors sans imperméable, je n’ai pas envie de discuter cent ans. Tu as gagné.

Lorsque le parent gagne, l’enfant accepte la solution du gagnant à contrecœur, le parent doit de plus contrôler que la solution est bien appliquée; les enfants perdants devenant souvent hypocrites et dissimulateurs. Peu à peu, ils en viennent à détester leurs parents.

D’autre part, ils n’apprennent pas à prendre des décisions eux-mêmes et ne deviennent pas autonomes. Il est faux de prétendre qu’une éducation autoritaire produit des adolescents sûrs d’eux et responsables. Toutes les observations montrent qu’on produit plutôt des personnes ayant toute leur vie besoin d’être soumises à une autorité et manquant totalement de volonté.

Inversement, les enfants gagnants deviennent vaniteux et exigeants, étant habitués à ce que leurs parents cèdent à leurs caprices. Ils ne res­pectent pas les autres ne sont pas aimés par les autres enfants qui les trouvent prétentieux et désagréables. Par ailleurs, ils souffrent du fait que leurs parents manquent d’affection à leur égard. Comment pourraient-ils aimer vraiment un enfant qui les tyrannise ? Dans tous les cas, l’autorité aveugle et le manque d’autorité conduisent à l’échec.

Souvent, les parents sont conscients de cet échec, mais ne connaissent pas d’alternative leur permettant de sortir de l’impasse « gagnant-perdant ».

Cette alternative existe. Gordon est particulièrement fier de sa mise au point. Il considère que sa technique ni gagnant- ni perdant est encore plus originale que l’écoute active et que les messages je, et constitue l’apport essentiel de sa méthode Parents efficaces.

Lorsque la technique ni gagnant- ni perdant est employée, la lutte se termine par une négociation. Les parents n’utilisent pas leur puissance pour dominer leur enfant. La technique ni gagnant- ni perdant est simplement une technique de participation aux décisions. Une négociation a lieu, identique à celles qui se produisent quotidiennement entre adultes d’affaires, au travail, et surtout à celles qui ont lieu sans que l’on y prête attention à l’intérieur même des couples.

Pratiquement, le déroulement des opérations est le suivant : un conflit apparaît. Le parent demande à l’en­fant de venir participer à une recher­che commune d’une solution accep­table pour les deux parties. Chacun peut offrir des solutions. Ils discutent ces solutions et en choi­sissent une. La décision ayant été prise en commun, il n’est pas néces­saire que l’un des deux l’impose à l’autre et vérifie par la suite qu’elle est bien appliquée.

Revenons au problème de l’imper­méable :

Judith : Salut, je pars à l’école.

Gordon : Comment ? Mais il pleut, et tu n’as pas ton imperméable !

Judith : Pas besoin.

Gordon : Je trouve qu’il pleut pour de bon, et cela m’ennuierait que tu abîmes ta robe et que tu attrapes un rhume (message je).

Judith : Écoute, je ne veux pas le mettre.

Gordon : On dirait que tu es vraiment décidée à ne pas mettre cet imperméable (écoute active).

Judith : C’est vrai, je le déteste.

Gordon : Tu détestes cet imperméable.

Judith : Oui, ce sont les rayures.

Gordon : Tu n’aimes pas les imperméables à rayures ?

Judith : Non, personne n’en porte à l’école.

Gordon : Cela te gêne d’être la seule à être habillée différemment.

Judith : C’est ça, ils ont tous des imperméables unis, bleus ou vert.

Gordon : Je vois. Là, on a un problème. Tu ne veux pas mettre ton imperméable à cause des rayures, mais je n’ai pas envie de payer le nettoyage de ta robe et cela me chagrinerait que tu t’enrhumes. Est-ce que tu peux trouver une solution qui nous convienne à tous les deux ? Comment peut-on résoudre ce problème ?

Judith : (réfléchissant) Je pourrais peut-être emprunter l’imper de maman.

Gordon : Il est uni ?

Judith : Oui, il est bleu.

Gordon : Tu crois qu’elle te le prêtera ?

Judith : Je vais lui demander. (Elle revient avec l’imperméable, qui est un peu trop grand ; elle retrousse les manches). Ça va !

Gordon : Comme cela, tu resteras au sec. Si cette solution te va, elle me va aussi.

Judith : Ciao.

Gordon : À ce soir.

Le conflit a été résolu sans que le père utilise son autorité, sans qu’il menace ou qu’il ait besoin de ruser. Enfin, l’affection entre les deux « négociateurs » reste intacte, ils se quittent bons amis. Voici un autre exemple :

Mère : Nicolas, j’en ai assez de te houspiller tous les jours parce, que ta chambre est sale et je suis sûre que tu en as assez que je t’embête à ce sujet. Alors, nous allons essayer une nouvelle méthode que j’ai lue dans Marie Claire. Il s’agit de trouver une solution que nous acceptions tous les deux. Je ne veux pas te forcer à faire le ménage dans ta chambre à contrecœur, mais je ne veux pas voir cette saleté qui me retourne les sangs. Comment pourrions-nous résoudre définitivement ce problème ? Tu veux bien essayer ?

Nicolas : Tu parles, je vois ça d’ici. Je finirai par devoir faire le ménage comme d’habitude.

Mère : Non, non. Je pense vraiment que nous devrions trouver une solution qui nous plaise à tous deux, et pas seulement à moi.

Nicolas : Bon, j’ai une idée. Tu détestes faire la vaisselle et tu aimes faire le ménage, tandis que je déteste faire le ménage mais j’aime bien faire la vaisselle. Alors, disons que je fais la vaisselle un repas sur deux et en échange, tu fais le ménage dans ma chambre deux fois par semaine.

Mère : Vraiment, tu crois que ça marcherait ?

Nicolas : Oui, je veux bien essayer.

Mère : Bon, d’accord, au moins ta chambre sera propre selon mes critères, puisque je passerai l’aspirateur moi-même.

Un aspect remarquable de la méthode ni gagnant- ni perdant est que les enfants trouvent souvent des solutions extrêmement originales et parfaitement adaptées aux problèmes particuliers qui se posent. Les solutions habituelles que les livres proposent pour les problèmes courants de l’enfant qui ne veut pas se coucher, ne range pas sa chambre, etc., ne tiennent pas compte des variations individuelles qui font qu’une solution peut être bonne dans une famille et mauvaise dans une autre.

L’enfant, ayant participé à la recherche de la solution est motivé, et désire en général appliquer la solution.

Benjamin, quatre ans, exigeait que sa mère joue avec lui au moment où rentrant épuisée du travail, elle préférait se reposer dans son fauteuil en lisant le journal. Il grimpait sur ses genoux et tirait sa manche, bien qu’elle eût essayé la méthode autoritaire, les messages je, etc. Finalement elle lui expliqua le problème et suggéra qu’ils recherchent ensemble une solution. Ils décidèrent qu’elle jouerait avec lui à condition qu’il la laisse d’abord lire le journal. Plus tard, Benjamin prévint fermement son frère : « Ne dérange pas maman, elle se repose. »

L’enfant est fier qu’on lui fasse confiance, exerce son imagination, perd toute hostilité, au point que la résolution du conflit s’accompagne souvent, selon Gordon, d’éclats de rire et de réjouissances.

Certains parents craignent de perdre énormément de temps à négocier. « Si je dois appliquer cette méthode avec chacun de mes cinq enfants, j’y passerai toutes mes journées », déclarait une des participantes à la formation Parent Efficaces. Il est vrai que la négociation peut prendre du temps. Cependant de nombreux problèmes étant résolus définitivement, on ne perd plus de temps à se disputer tous les jours. Le cas de Nicolas qui ne voulait pas passer l’aspirateur en est un exemple. On ne perd plus de temps à vérifier que les enfants appliquent une solution qui leur a été imposée.

Peu à peu, parents et enfants s’habituent à la méthode et les séances de négociation deviennent de plus en plus brèves. Enfin, dans de nombreux cas, les conflits cessent tout simplement d’apparaître : les parents et les enfants apprennent à tenir compte de leurs besoins respectifs et trouvent des moyens d’éviter par avance les conflits.

Cependant des échecs sont inévitables. Les enfants se sont peut-être engagés à la légère et s’aperçoivent que la tache à accomplir est au­-dessus de leurs forces. Ou bien, ils n’ont pas l’habitude de se contrôler eux-mêmes. Ils veulent voir ce qui se passe lorsqu’ils ne tiennent pas leurs promesses. Ou même ils ont promis sans avoir l’intention de tenir, pour mettre fin à une séance qui les ennuyait.

L’écoute active permet de décou­vrir les raisons de l’échec. On obtient en général de bons résultats avec un message je simple : « Je suis embêtée, quand je vois que la pièce n’est pas rangée comme nous avions décidé. » Il faudra peut-être une nouvelle négociation, à la suite de laquelle une autre solution sera essayée. Il est important de faire confiance à l’enfant, c’est-à-dire de ne pas lui rappeler constamment qu’il a promis d’agir de telle ou telle façon et de ne pas le punir en cas d’échec.

Dans le cas où les enfants sont habitués à gagner, la première séance peut être délicate et l’approche « autocritique » n’est pas indiquée. Gordon cite le cas d’une fille de treize ans qui se mit violemment en colère lorsqu’elle s’aperçut que ses parents ne voulaient plus accomplir toutes ses volontés. En larmes, elle s’enfuit dans sa chambre. Au lieu de la consoler ou de l’ignorer ainsi qu’il le faisait jusque-là, le père éleva la voix : « Je suis déçu ! On a envie de parler de quelque chose qui nous ennuie, ta mère et moi et tu t’enfuies ! Je trouve ça frustrant. On veut résoudre ce problème, sans pour autant que ce soit comme d’habitude à ton avantage. Il s’agit de trouver une solution qui tienne compte aussi de nous. Alors, veux-tu revenir en discuter ? »

Elle revint, le problème fut résolu et elle n’utilisa plus sa rage et ses larmes comme moyen de pression.

Dans son souci de ne négliger aucune variété de conflit, Gordon s’est intéressé, après les conflits parent-enfant aux luttes triangulaires parent-enfant-parent. La plupart des manuels recommandent aux parents qui ne sont pas d’accord de présenter au moins un front uni à leurs enfants. Selon le psychologue Gordon il s’agit là d’une erreur fondamentale : que deux personnes différentes soient toujours du même avis est impossible, et l’enfant lorsqu’il pren­dra conscience de cette impossibilité s’apercevra qu’on l’a trompé.

 

6e clé : Respecter la liberté des jeunes : les conseiller puis les laisser choisir.

Ce que vise Gordon, c’est améliorer les communications entre jeunes et adultes, en apprenant aux parents à reconnaître la personne présente dans leurs enfants, dès le plus jeune âge.

Les enfants « envoient paître » leurs parents lorsque ceux-ci leur dénient les droits fondamentaux de toute personne humaine : le droit d’avoir ses propres opinions, de décider soi­-même de son destin, d’avoir des goûts différents. Les parents qui cherchent à imposer leurs valeurs aux enfants, à décider à leur place, finissent par se faire renvoyer. Dans le domaine des convictions profondes et des goûts, aucune négociation ne pourra résou­dre vraiment un conflit. Il faut admettre le droit à la différence.

Le cas des coiffures des jeunes est un exemple caractéristique. Si un jeune tient à raser ou laisser pousser ses cheveux, les raisons de son désir n’ont pas d’importance. Ce qui est important, c’est que ce désir lui tient énormément à cœur. « Ce sont mes cheveux », « Laisse-moi tran­quille », « Cela ne te regarde pas », « Je ne te fais pas de remarque sur tes cheveux », répond-il à toute cri­tique. Ces messages se décodent ainsi : « Je pense que j’ai le droit de décider moi-même de mon apparence tant que cela ne t’affecte pas de façon tangible. » Pourtant, de nombreux parents considèrent qu’un tel pro­blème fait partie de leur propre domaine.

Le conflit ne peut pas être résolu, le fils finira par partir dans sa cham­bre, ou par partir pour de bon. Or les parents persistent à vouloir changer des comportements qui ne peuvent pas être changés. Le fils résiste autant qu’un adulte dont on voudrait modifier le comporte­ment contre son gré. Il tient à sa liberté.

Si les parents cessaient de vouloir intervenir à propos de situations qui ne vont pas vraiment à l’encontre de leurs besoins, de nombreux conflits seraient évités. D’autant plus que les jeunes réagissent sou­vent en exagérant le comportement en question. Ils ne réagissent pas contre les adultes, mais contre les tentatives de ces adultes de limiter leur liberté. Ils n’ont plus confiance en leurs parents, et refuseront le dia­logue même dans les cas où le pro­blème est réel et où une solution simple existe.

L’éducation ne doit pas consister à mouler les enfants pour qu’ils conviennent aux parents ou leur ressemblent. Les parents ne sont pas les propriétaires de leurs enfants.

Selon Gordon, les parents ne doivent pas chercher à imposer leurs vues. Il les compare aux ingé­nieurs-conseils qu’une entreprise consulte lorsqu’elle a un problème : le conseiller donne son avis, mais n’insiste pas, offre une solution, mais ne l’impose pas, suggère plutôt qu’or­donne. Il propose son expertise, mais ne revient pas à la charge tous les jours pendant des mois.

Communiquez à vos enfants votre avis, si vous en avez un, sur l’effet nocif des cigarettes ou de la drogue, sur l’intérêt des études supérieures, sur la question de l’amour avant le mariage. Mais ne harcelez pas !

L’expérience montre que vous n’arriverez jamais à empêcher un enfant de fumer, à moins d’être à ses côtés vingt-quatre heures sur vingt­-quatre. Vous ne pourrez pas le forcer à faire ses devoirs scolaires. Une mère anglaise vient de faire enfermer sa fille en prison pour l’em­pêcher de coucher avec un garçon ! Plutôt que de recourir à des excentri­cités de ce genre, il est préférable d’accepter ce qui ne peut être changé.

 

7e clé : Influencer les autres parents et éducateurs de vos enfants.

Un enfant rencontre de nombreux adultes qui exercent temporairement la fonction de parents : les grands­-parents, les professeurs, les instructeurs sportifs, les moni­teurs de colonie de vacances. Ces adultes commet­tent en général les mêmes erreurs que les parents. Ils ne les écoutent pas, ne les considèrent pas comme des personnes, leur font perdre la face, imposent leur autorité par la force et le chantage, cherchent à les mou­ler selon leurs propres convictions.

L’école en particulier est un en­droit où la méthode Gordon a besoin d’être diffusée : les règles sont établies sans que les élèves soient consultés, les infractions sont punies, les pro­grammes n’intéressent pas les enfants et sont imposés par un système de récompenses et de punitions. Les professeurs humilient certains élèves, en particulier ceux qui montrent de la personnalité.

Les conflits sont souvent résolus à l’avantage des adultes. Les droits fondamentaux sont déniés aux élèves : ils ne peuvent s’habiller ou se coiffer comme ils veulent, être en désaccord avec les profs, faire de la politique, etc. Il est évident que la plupart des élèves n’aiment pas l’école, considè­rent les études comme une obligation désagréable et les professeurs comme des flics.

Les parents peuvent, et doivent, intervenir lorsqu’un professeur est autoritaire, lorsqu’un directeur dénie aux élèves leurs droits, etc. Des sé­ances de négociation entre élèves, professeurs et directeurs dans des écoles ayant adopté la méthode Gordon ont produit des résultats étonnants : pour 76 % des élèves, la classe travaillait mieux après la formation qu’avant ; pour 95 % l’atmosphère avait été nettement améliorée après que les enseignants et le personnel éducateur aient participé à la formation Enseignants efficaces, l’équivalent de Parents efficaces appliquée aux relations enseignant élève.

Des directeurs ont constaté que les problèmes de discipline ont diminué d’au moins 50 % : « Mes relations avec les élèves se sont amé­liorées de façon spectaculaire.» Les professeurs ont repris confiance en eux-mêmes, l’ambiance dans les classes est beaucoup plus décontrac­tée et saine, les élèves participent à l’élaboration des règles et se sentent concernés dans leur application, ils apprennent à résoudre sans vio­lence des problèmes se posant fré­quemment dans la société.

Comme beaucoup de parents, ces professeurs et directeurs ont cons­taté que la méthode Gordon n’améliorait pas seulement les rela­tions avec les enfants, mais aussi les relations entre adultes.

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