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Apprendre avec le QI et le QE

Extraits d’un article paru dans Psychologies n°153

 

Penser et ressentir

L’un des domaines dans lesquels le concept d’intelligence émotionnelle peut entraîner de profonds changements est bien celui de l’école. De tout temps, l’institution scolaire ne s’est préoccupée que du QI. Être fort en maths et en grammaire nous donnait un passeport pour la vie. On s’aperçoit depuis peu que cela ne suffit pas. Les qualités humaines sont aussi indispensables à la réussite d’un individu que son QI.

Traditionnellement tournée vers le développement des capacités intellectuelles de l’enfant, l’école néglige tout un pan de sa personnalité et finalement, ne le prépare pas efficacement à devenir un être humain responsable. Cette prise de conscience n’est pas nouvelle pour les psychologues français. Mais elle commence à gagner le monde scientifique et, peu à peu, le grand public. Ainsi, le rôle et les missions de l’institution scolaire ne consisteraient plus uniquement à transmettre des connaissances, mais à préparer l’enfant à la vie. À quoi pourrait ressembler cette école de demain ? Où en est-on aujourd’hui ?

Aujourd’hui, plusieurs centaines d’écoles ont mis en oeuvre des programmes de développement émotionnel et social Ce nouvel apprentissage se fait sous forme de cours spécifiques, intégrés dans le cursus scolaire. Ils sont animés par des professeurs qui ont suivi une formation à cet effet.

 

Une expérience en classe

Dans une classe du primaire de la ville, les enfants sont assis en cercle. La discussion démarre autour d’un petit mot trouvé dans la «boîte aux lettres» de la classe, spécialement conçue pour accueillir les questions et les préoccupations des élèves. Ce jour-là, il y a un message : «Alice et Bruno ne veulent pas jouer avec moi.» Son auteur est anonyme. Les enfants sont invités à s’exprimer autour de ce message. Ils disent ce qu’ils ressentent lorsque eux-mêmes sont confrontés à ce type de situation: «rejet», «abandon», «exclusion»… Première vertu de l’exercice : ils s’aperçoivent qu’ils ne sont pas seuls à avoir éprouvé ces sentiments, qui deviennent ainsi moins lourds à porter… Deuxième intérêt : rechercher ensemble d’autres solutions que le conflit ou la bagarre. Par exemple, que peuvent-ils faire pour mieux s’intégrer quand ils se sentent rejetés ?

 

Lire les émotions sur les visages

Dans une autre classe, les enfants travaillent à partir de la photo d’un visage découpée dans un magazine. Le professeur demande à chacun d’identifier l’émotion que traduit le visage et d’expliquer comment il est parvenu à cette conclusion. En interprétant adéquatement les signes et les expressions corporelles, les enfants éviteront de se mettre en colère face à des expressions de tension.

Cet apprentissage émotionnel suit une progression et se fait géné­ralement autour de trois facteurs principaux : la conscience de soi et la capacité à reconnaître ses émotions, la gestion de ses émotions et les relations avec les autres.

 

Un outil pour prévenir la violence

Ce programme devient en fait un outil de prévention de la violence. «Plutôt que d’aborder séparément les problèmes de la violence, de la drogue, du sida en faisant chaque fois des campagnes de prévention distinctes, nous avons préféré prendre le problème à la base, parce que les causes sont toujours les mêmes» précise Béatrice Bellisa, formatrice de ce programme. La violence naît fréquemment d’une incompré­hension et d’une absence de dialogue entre les gens. Une communication claire permet de retrouver un climat plus serein. Et celle-ci nest possible que lorsque chacun est en contact avec ses émotions. Quand on se trouve en conflit avec une autre personne, être capable de parler de soi, de ce qu’on ressent plutôt qu’accuser l’autre permet d’établir un véritable échange et peut déboucher sur une solution.»

 

Améliorer les résultats scolaires

Ce programme améliore aussi la réussite de l’élève. La réussite sociale d’une personne dépend de sa capacité à s’affirmer et à entrer en relation avec les autres, tout autant que de ses capacités intel­lectuelles. Là encore, s’affirmer sans heurter l’autre, écouter, comprendre les besoins et les réac­tions de l’autre, accepter un point de vue différent du sien ne peuvent se faire que si l’on est en contact avec ce que l’on ressent soi-même. Et cela se travaille. Cela s’apprend.

Cette prise de conscience ne fait pas l’unanimité. Cette approche aide l’enfant en lui apprenant à mieux gérer ses émotions, à les exprimer. Isabelle Filliozat, psychothérapeute, auteur de L’Intelligence du coeur, considère que «Ces jeunes ont la chance d’apprendre à nommer, à reconnaître leurs émotions et à les utiliser pour grandir. Ils ont en main les clés pour les aider à gérer ce qu’ils vivent.»

C’est ce que tentent de faire quelques rares expériences menées dans des classes, des colonies de vacances, des maternelles, des centres de loisirs, etc. Cette méthode structurée pour atteindre ces objectifs. Mis au point par des psychologues et des pédagogues, le Cercle est utilisé notamment aux USA, au Mexique, au Canada, en Suède, en Belgique, en Suisse, en France, en Pologne.

 

Mieux être pour mieux apprendre

«Un enfant ne peut bien apprendre que si ses besoins affectifs sont satisfaits», indique Béatrice Bellisa, formatrice de ce programme. Un rôle qui, selon elle, revient en premier lieu à la famille, certes, mais aussi à l’école. Elle ajoute : «En créant un espace où lenfant peut parler de lui librement, en sachant qu’il ne sera pas jugé, mais écouté et compris, la classe crée un climat de confiance et de sécurité qui aidera l’enfant à apprendre tout en sépanouissant.» Le Cercle amène l’enseignant et les enfants à se réunir en cercle environ vingt à quarante minutes, plusieurs fois par semaine, et à parler autour d’un thème, tel que «Mon ani­mal préféré», «Quelque chose que je suis capable de faire», «Une difficul­té que j’ai réussi à surmonter», «Quelqu’un m’a fait confiance». Ces thèmes traitent successivement de trois domaines fondamentaux en développement personnel et social : la conscience de soi, l’estime de soi et les relations aux autres.

Grâce à ce programme, lenfant acquiert le sentiment de sa propre valeur, indépendamment de ses résultats scolaires. C’est cette confiance de base qui pourra lui donner l’envie d’apprendre et de réussir».

En apprenant aux enfants à identifier leurs émotions, on leur fait prendre conscience qu’ils peuvent faire quelque chose pour retrouver un équilibre, qu’ils peuvent agir sur les situations qu’ils vivent, et non seulement les subir.

Cette pédagogie nous renvoie à une nouvelle façon d’être vis-à-vis des autres et vis-à-vis de nous-mêmes. Elle aura d’autant plus d’impact qu’elle sera appliquée tôt et qu’elle s’inscrira dans la durée.

 

 

 

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