2 parents qui aident au coloriage de 2 enfants

L’autisme peut se vaincre – Ramener les enfants à la vie en les aimant

 

Traduit par Louise Drolet, Adapté par Jacques Lalanne

 

Extraits d’une conférence de Barry Neil Kaufman au congrès de l’Association québécoise des enfants ayant des troubles d’apprentissage (AQETA) à Montréal.

 

Une approche radicalement nouvelle

Vous travaillez avec des adultes ou des enfants souffrant de problèmes et de handicaps divers. Nous nous intéressons d’abord à l’autisme, mais je veux d’abord vous poser une question: «Si vous aviez le choix, voudriez-vous apprendre à être plus heureux ou préfèreriez-vous apprendre à traiter l’autisme? « Je pose cette question car je sais, par expérience, qu’une personne qui n’est pas heureuse ne pourra pas traiter une personne souffrant d’autisme ou de tout autre problème semblable.

Autrefois, on croyait que le soleil tournait autour de la terre. Puis, grâce à un télescope amélioré et de nouveaux calculs mathématiques, Galilée proposa une idée tout à fait différente! Le soleil était le centre du système solaire et les planètes gravitaient autour de lui. Il présenta sa théorie, mais les hommes politiques, les scientifiques et les membres de l’Eglise se moquèrent de lui ou restèrent indifférents. Il donna des conférences un peu partout en Europe: «Venez chez moi, regardez dans mon télescope et vérifiez mes calculs, et vous verrez bien!» disait-il. On dut attendre bien des années avant qu’on s’intéresse à sa théorie et qu’on voit les choses d’un œil différent.

Qu’est-ce que ceci a à voir avec l’autisme? Je voudrais vous dire d’une manière directe: on peut traiter l’autisme. Et si on vous dit que c’est faux, vous saurez qu’on parle ainsi par peur ou par ignorance. Je pense à Galilée et je me demande combien d’années, ou de siècles, cela nous prendra pour changer notre perspective et voir que nous possédons une très grande capacité à nous transformer nous-mêmes et à aider les gens et les enfants qui souffrent de soi-disant lésions cérébrales, de dysfonctionnement organique – aussi appelé troubles émotifs – à changer et à atteindre leur potentiel.

 

Une expérience de mort imminente révélatrice

Il y a plusieurs années, un ami qui m’était très cher est mort au cours d’une opération chirurgicale. Son cœur s’est arrêté à un moment qui n’est pas considéré comme particulièrement critique, mais grâce au courage des médecins et des infirmières, il a été réanimé en moins de deux minutes et demie. Dans la salle de réveil, il nous a raconté l’histoire stupéfiante de ce qu’il avait cru vivre pendant qu’il était soi-disant mort. «Il m’a semblé que je reprenais soudain conscience tout en étant encore sous anesthésie. J’ai eu l’impression que l’essence de mon être s’était séparée de mon corps: je pouvais entendre les médecins et les infirmières, je peux même répéter mot pout mot ce qu’ils ont dit. J’ai eu l’impression de glisser hors de mon enveloppe charnelle et de flotter dans un tunnel très noir et très paisible.» A mesure que mon ami s’éloignait, les bruits de la salle d’opération, le cliquetis des instruments ont formé un fond sonore assourdi et très beau. Il a été frappé par le sentiment de paix qu’il éprouvait tout en flottant dans le tunnel. Au haut de celui-ci, il a vu une lumière blanche et jaune très intense puis une question très simple a surgi dans son esprit comme du fond de lui-même: «Es-tu satisfait ou insatisfait de la vie que tu as menée? Et quelle que soit ta réponse, pourquoi?» A ce moment, sa tante, qui écoutait son récit, a sursauté: «Mon Dieu! Qui voudrait répondre à une question aussi terrible à la fin de sa vie, car, certainement, la plupart, nous éprouverons alors d’immenses regrets et peut-être même de l’amertume.»

Et mon ami a rétorqué: «Non, non, non. Vous ne comprenez pas. Cette question ne ressemblait à nulle autre question. Elle ne demandait aucune réponse, n’impliquait aucun jugement de valeur. J’ai su, au moment où je l’ai entendue, que si je choisissais d’y répondre, je me rapprocherais beaucoup de ma propre vérité. La question elle-même était un magnifique cadeau.»

 

D’abord être heureux, ensuite agir

Voici ce qui m’a frappé en écoutant le récit de mon ami: j’ai pris conscience qu’il parlait de l’approche Option, qui reflète un style de vie que nous tentons d’appliquer. Option est un processus de dialogue très simple qui vise à rendre une personne plus heureuse en l’aidant à voir et à rejeter les principes et les croyances qui la rendent malheureuse. Au cours de cette recherche, la personne prend conscience de certaines choses; d’abord, son attitude change, elle adopte l’attitude «Aimer c’est choisir d’être heureux» c’est-à-dire je m’aime comme je suis et je t’aime comme tu es. Je n’ai pas besoin de me conformer à des principes moraux abstraits ni aux attentes des autres et je ne m’attends pas à ce que tu le fasses non plus. La personne prend aussi conscience que personne ne la connait mieux qu’elle-même; chacun de nous, si elle regarde attentivement, possède ses propres réponses. Quand je dis qu’aimer c’est être satisfait, on me répond souvent: «Ça n’a pas l’air très productif» ou «C’est impossible».

 

Epreuve à notre bonheur

Je veux montrer que l’acceptation totale de soi ou de la personne que l’on essaie d’aider, est sans doute l’attitude la plus puissante et la plus efficace que l’on puisse adopter dans son travail avec les autres. Une attitude que la plupart des gens ne semblent pas posséder ou priser. Vous comprendrez peut-être mieux si je vous explique le travail et les buts que nous poursuivons.

Revenons d’abord au travail que je fis avec ma femme Samaharia et ma famille auprès de l’enfant qui nous est né, et qui a été classé, étiqueté comme incurable, considéré à l’époque comme souffrant de schizophrénie infantile, ou d’autisme. Avant la venue de ce troisième enfant, nous enseignions le processus de l’acceptation à des adultes. Et pour la première fois de notre vie, avant qu’il vienne dans notre famille, nous avions appris à nous accepter nous-mêmes. Et lorsqu’il est né, c’était comme si l’Univers nous avait regardés dans les yeux en disant: «Vous voyez! Vous pensiez être au bout de vos peines. Vous pensiez savoir ce que vous faites! Eh bien, mes amis, voyons comment vous allez régler ce problème-ci!» Raun est né au terme d’un accouchement «naturel», sans anesthésie. Il a obtenu un indice d’Apgar de 10, en ce qui touche les réflexes et les réactions, mais néanmoins, durant le premier mois de sa vie, il n’arrêtait pas de pleurer. Nous le prenions dans nos bras, le nourrissions, changions ses couches. Peu importe ce que nous faisions, il semblait être venu au monde avec un manque d’harmonie intérieure.

Le trentième jour, on a découvert qu’il souffrait d’une grave infection de l’oreille et on l’a hospitalisé. Les médicaments qu’on lui donnait l’avaient déshydraté. Pendant dix jours, il a oscillé entre la vie et la mort. Ses tympans ont éclaté sous la pression de l’infection. Les médecins nous ont prévenus que s’il survivait, il avait de grandes chances d’être sourd. Et je nous revois, ce soir-là, Samaharia et moi, sortant de l’unité des soins intensifs. Nous avons vraiment accepté qu’il nous reviendrait peut-être sourd. En quelque part, nous savions que s’il voulait vraiment entendre la musique du monde, nous trouverions certainement un moyen de l’aider à s’en remplir la tête. Raun a survécu. Mais, contrairement aux prédictions initiales des médecins, il semblait pouvoir entendre.

 

Accepter notre fils autiste

Et il a grandi de façon merveilleuse jusqu’à l’âge de 11 mois. A ce moment, nous avons remarqué différentes choses: son absence de réaction lorsqu’on l’appelait, sa tendance à fixer différents objets, surtout ceux qui avaient une surface brillante et ceux qui tournaient comme les poignées de porte, les ampoules électriques. Lorsque nous nous sommes rendu compte qu’il était différent nous avons présenté son cas à des médecins et à des psychologues ; ceux-ci nous ont regardés avec un certain mépris, une certaine indifférence. L’attitude de professionnels disant aux parents: «Vous ne connaissez pas ça» ou «Vous vous inquiétez outre-mesure.» C’est nous, les parents, qui leur avons dit: «Nous savons qu’il y a quelque chose hors de l’ordinaire chez lui et nous voulons entrer en contact avec cela.»

Mais nous ne savions pas comment le faire à ce moment-là et pendant les trois mois qui ont suivi, le comportement de Raun a changé de façon radicale. Si je décrivais son comportement, j’illustrerais l’autisme. Un enfant complètement enfermé dans son monde, qui ne recherchait jamais un contact humain, le repoussait même, n’apprenait aucun langage verbal ou non verbal: il ne grognait pas, ne pointait pas du doigt, ne voulait rien. Il ne regardait jamais les gens, seulement des objets. Il passait des heures interminables chaque jour à se stimuler, en se balançant d’avant en arrière, en tournant en cercles, en claquant ses doigts devant ses yeux.

Il était facile alors de parler d’autisme pour qualifier le comportement de ce petit enfant. Cependant cette qualification comportait bien d’autres sous-entendus: d’abord, l’incurabilité, l’impossibilité de la transformer. Je me rappelle que les médecins nous avaient regardés – ils savaient que nous avions deux filles – en secouant la tête et en disant: «Ecoutez, c’est dommage que ça arrive à vous et à votre fils, mais ne perdez pas votre temps et celui de votre famille. Ce petit garçon ne s’en sortira pas. Occupez-vous de vos enfants normaux, avec qui vous pourrez faire quelque chose.»

Puis nous sommes sortis, nous avons regardé ce petit garçon qui tournait en rond en faisant de drôles de bruits. Pour nous, ce n’était pas une tragédie, peut-être parce que nous avions appris à nous accepter nous-mêmes et à accepter nos différences. Les paroles du médecin avaient presque renforcé nos sentiments: il y avait quelque chose d’infiniment beau, d’infiniment merveilleux et d’infiniment excitant dans les différences que notre fils présentait.

Si vous allez au Tibet et que vous voyez certains moines se balancer d’avant en arrière dans une méditation incessante, cherchant en quelque sorte une communion avec Dieu et l’Univers, vous trouverez une ressemblance ironique entre ce petit garçon soi-disant autiste et cet état méditatif merveilleux et mystérieux.

 

Méthodes répressives

Nous avons alors cherché en Amérique et en Europe comment aider Raun et qu’avons-nous vu? Nous avons vu des gens attacher ces enfants à des chaises pour les empêcher de se balancer et de faire claquer leurs doigts. Nous avons vu des enfants de trois ou quatre ans recevoir des chocs électriques et des coups de bâtons excitateurs afin de les forcer à adopter certains comportements. Les programmes de modification du comportement sont très à la mode maintenant: dans le cadre de ces programmes, l’enfant qui ne répond pas aux désirs et aux attentes du thérapeute est placé dans une salle ou un cabinet d’isolation.

Si vous faisiez cela chez vous, on pourrait vous accuser de violence contre un enfant en vertu du code criminel et vous poursuivre en justice. Pourtant, il semble que sous le couvert de la médecine et de la psychologie, ces procédés soient acceptés.

Cependant, de toute évidence, personne ne travaillait selon une attitude d’amour et d’acceptation avec les enfants, en particulier les enfants autistes. Tous les programmes étaient fondés sur le mépris et la désapprobation. Les thérapeutes, les professeurs ou même les parents disaient tous: «C’est affreux! Pour l’amour de Dieu, arrêtons ça! Empêchons-le de tourner en rond, de faire claquer ses doigts. Il émet des sons terribles. Arrêtons-le.»

L’attitude de tous ces gens était fondée sur l’inacceptation. Nous nous sommes dit: «Hé, un moment! Tout ce que nous enseignons aux adultes touche l’acceptation de soi. Nous avons vu des gens progresser de façon extraordinaire dans leur rôle de parents, leurs relations sexuelles, leur travail et leurs réalisations professionnelles.

 

Créer un environnement acceptant

Ayant adopté ce principe de l’acceptation, nous ne pouvons placer notre enfant dans un environnement où tout n’est que réprobation. Nous avons donc décidé de créer notre propre programme et, plutôt que de forcer notre enfant à se conformer à l’image qu’un médecin, un thérapeute ou n’importe qui d’autre se faisait d’un enfant de deux ans, nous avons choisi de lui faire confiance et de l’accepter comme il était.

Nous avons décidé de vraiment entrer dans son monde plutôt que de le forcer à entrer dans le nôtre. Donc, s’il claquait des doigts, nous claquions des doigts, s’il se berçait, nous nous bercions aussi. En fait, c’était beaucoup plus complexe que cela. Nous essayions vraiment de rejoindre un enfant dans son monde, de faire comme lui de façon à ce qu’il nous comprenne et nous accepte mieux.

Il est clair que s’il avait pu être autrement, il l’aurait été. A deux ans, il faisait de son mieux. Donc, il était ce qu’il pouvait être, et au lieu de le forcer à être ce qu’il ne pouvait pas être à ce moment-là, nous lui avons communiqué: «D’accord. Nous allons faire comme toi pour entrer en contact avec toi. Nous allons faire ce que tu fais pour te dire de la seule façon que tu sembles comprendre: «Mon petit, nous t’aimons. Tu es parfait comme tu es. Il n’y a pas de mal à être différent.»

Et nous avons fait cela douze heures par jour, sept jours par semaine pendant trois ans et demi. On avait alors évalué le quotient intellectuel de notre enfant à moins de 30. La progression s’est faite très lentement: cela a pris huit semaines, à raison de 80 à 90 heures par semaine, avant de pouvoir établir un contact visuel évasif et d’obtenir de brèves réactions.

 

Efficacité ou évolution ?

Je me rappelle avoir dit ceci à un des médecins qui savait ce que nous faisions. Il m’a répondu: «Mon Dieu! Vous avez travaillé pendant 600 ou 700 heures pour obtenir un contact visuel de deux secondes? Cela serait très peu rentable pour quelqu’un d’autre.» Pour nous, il n’était pas question de rentabilité, mais de valoriser un petit être. Pour nous, la valeur d’une vie humaine allait au-delà de la rentabilité. Pour nous, ces huit semaines ne semblaient pas trop longues pour voir un petit enfant nous regarder spontanément pour la première fois. Cela a pris un autre mois environ avant qu’il nous laisse le toucher, le caresser et qu’il nous admette de plus en plus dans son monde, qu’il crée une possibilité encore plus grande pour lui d’apprendre ce qu’était notre monde.

Nous l’acceptions entièrement; nous étions totalement avec lui. Environ sept ou huit mois plus tard, il a prononcé ses premiers sons, qui devinrent des mots, puis des phrases. Tout le monde avait dit que ce petit garçon était incurable, mais nous l’avions accepté tel qu’il était.

Laissez-moi vous dire où en est Raun aujourd’hui. Raun a onze ans; il est à la tête de sa classe pour toutes les matières; son quotient intellectuel, autrefois inférieur à 30, se situe aujourd’hui à 150, soit très près du génie. Il se montre acceptant, aimant et il nous aide dans notre travail avec d’autres enfants. Les parents qui entendent parler de lui disent: «Ses parents doivent être des êtres extraordinaires.» Nous n’avons pas l’impression d’être extraordinaires, nous l’avons tout simplement accepté.

D’autres disent: «Mon Dieu! Quel terrible sacrifice! Trois ans et demi de votre vie à travailler avec un enfant dans une salle de bain et une petite pièce. Qui pourrait faire ça?»

Si, en vous promenant au bord de la Méditerranée il y a cinq ou six ans, vous aviez vu Picasso en train de ciseler sans arrêt un morceau de marbre, sachant qu’il mettrait trois ans à compléter son œuvre, vous auriez sans doute éprouvé beaucoup d’admiration pour lui: «N’est-ce pas merveilleux? Il fait exactement ce qu’il veut. Il est entièrement absorbé dans son travail et il y met beaucoup de soins.» En travaillant avec notre fils pendant trois ans et demi, nous avons fait exactement ce que nous voulions. Nous célébrions ce que nous étions et notre amour le plus profond envers notre fils en restant avec lui.

 

Appliquer cette approche à d’autres enfants

On entend aussi d’autres commentaires. «Ca doit être un miracle unique qui ne s’applique à personne d’autre. Après tout, il ne s’agit que d’un enfant. Ca ne veut rien dire pour les autres enfants. C’est un coup de chance extraordinaire». Certes, on peut fermer les yeux et répéter l’histoire de Galilée.

Laissez-moi vous raconter une autre histoire. Francisca et Roberto sont venus nous voir avec leur petit garçon autiste qui souffrait aussi de lésions cérébrales.

L’histoire se déroule en deux volets: ils sont d’abord venus chez nous pendant une semaine : nous avons alors essayé de les aider à établir leur propre programme pour travailler avec leur fils. Nous avons vu une femme et un homme merveilleux et un petit garçon qui ne faisait vraiment pas grand-chose. Robertito avait quatre ans à ce moment-là, il n’avait en gros aucune réaction, il ne parlait pas et n’avait pas de contact avec les autres. Il restait assis et faisait toutes sortes de sons et il tortillait de petits morceaux de papier et de tissus devant ses yeux.

Le premier jour, Samaharia et moi avons passé la journée entière dans la salle de bain, la même salle de bain que nous avions utilisée pour Raun, à travailler avec ce petit garçon. En restant avec lui, en lui témoignant de l’affection, en essayant de nous immiscer aussi délicatement et aussi gentiment que possible dans son monde. Après ces huit ou dix heures, nous n’avons pas décelé de changement particulier, mais nous étions contents d’être là, d’aimer et d’accepter cet enfant.

 

Amener les parents à réviser leur attitude

Ce soir-là nous avons travaillé pendant six ou sept heures avec les parents, et, par l’intermédiaire d’un interprète, j’ai posé à la mère la question suivante: «Que ressentiriez-vous si votre enfant restait comme il est en ce moment pour toute l’éternité, pour toute la vie?» L’interprète m’a regardé et m’a dit: «Vous voulez vraiment que je lui pose cette question?» Je lui ai dit: «J’apprécierais que vous le fassiez.» Il a posé la question à Francisca. Les yeux de celle-ci se sont remplis de larmes: «Ca serait une chose terrible, une chose vraiment affreuse.»

Je lui ai demandé pourquoi elle trouverait cela aussi affreux. C’est ainsi qu’un dialogue a commencé entre nous, le dialogue étant à la base de notre travail auprès des adultes, un dialogue qui lui a permis d’examiner ses peurs, ses jugements – le fait qu’elle considérait le sort de son enfant comme un sort terrible – son sentiment de culpabilité pour avoir, d’une façon génétique, condamné son enfant à ces affreuses lésions cérébrales, et d’affronter le fait qu’elle ne s’acceptait pas elle-même et qu’elle n’acceptait pas son enfant non plus.

Le deuxième jour, à son arrivée chez nous, Francisca était tout excitée et, les yeux brillants, elle nous a dit: «Il faut que je vous raconte quelque chose de vraiment miraculeux, de vraiment incroyable». Avec l’aide de l’interprète, elle nous a raconté que Robertito s’était levé – et habituellement quand il se réveille, il ne bouge pas, il s’occupe tout seul, tourne dans son lit – mais ce matin-là, dans le motel, il s’était glissé hors de son lit avec une détermination qu’elle n’avait pas encore vue chez lui en quatre ans et s’était dirigé lentement vers la salle de bain; il avait attendu là, debout, comme s’il savait quelque chose.

Et pendant qu’elle nous racontait cette histoire, ce petit être, qui supposément était incapable de faire quoi que ce soit seul, a trouvé lentement le chemin de la salle de bain de notre maison et nous y a attendus. Nous avons donc travaillé avec lui, ce jour-là. Et c’est pendant ce deuxième jour, que nous avons établi un contact visuel avec lui et que nous avons remarqué d’autres changements. Il avait participé à bien des programmes différents, programmes comportementaux, programmes de modelage, psychanalyses. Et dès le deuxième jour, nous avons établi un contact visuel.

Le quatrième jour, ils nous ont raconté un incident qui avait bouleversé Francisca. La veille, alors qu’ils se trouvaient en route vers le motel en taxi, le petit garçon, qui ne l’avait jamais reconnue ou n’avait jamais montré qu’il la connaissait, s’était glissé jusqu’à elle sur la banquette, avait mis la main sur son bras, posé sa tête sur son épaule et s’était endormi. Pour la mère, qui avait attendu quatre ans ce geste qui reflétait un désir de communiquer, une certaine sensibilité, cet incident était vraiment merveilleux. Elle nous a dit: «Il semble presque différent avec nous. Samaharia et vous avez travaillé avec lui pendant trois jours, mais déjà nous voyons des changements. Il essaie de communiquer avec nous et pourtant, nous ne travaillons pas avec lui, nous ne comprenons pas pourquoi» nous a-t-elle dit.

Et nous lui avons répondu qu’elle et Roberto avaient aussi beaucoup fait pour leur fils ces trois derniers jours. «Chaque soir pendant six ou sept heures à mesure que vous étudiiez vos jugements de valeur et les abandonniez, à mesure que vous regardiez vos terreur et y renonciez, et que vous vous acceptiez davantage et acceptiez davantage votre enfant, vous lui communiquiez quelque chose. En fait, vous avez travaillé avec lui autant que nous.»

Et le sixième, au moment où ils s’apprêtaient à partir, Robertito a même commencé à émettre des sons qui ressemblaient vaguement à des mots. Au moment où ils allaient monter dans le taxi, j’ai regardé Francisca et je lui ai dit: «Francisca, qu’éprouveriez-vous si votre enfant restait ainsi pour toujours?» Elle m’a regardé, puis elle m’a dit en souriant: «Je veux vous confier quelque chose. Le premier jour quand vous m’avez posé cette question, je me suis dit: «Mon Dieu! J’ai fait 5 000 kilomètres du Mexique jusqu’ici pour entendre un fou me poser cette question tout à fait idiote.» Mais maintenant que vous me la posez de nouveau à la fin de mon séjour ici, ça me donne l’occasion de comprendre une chose que je n’ai pas comprise la première fois. J’aimais l’enfant auquel je voulais que mon enfant ressemble, l’enfant qu’il deviendrait dans mes rêves. Je ne voyais pas du tout le petit être qu’il était en réalité. Et d’une certaine façon, maintenant, je veux être davantage avec lui, pas avec celui qu’il pourrait devenir, mais avec celui qu’il est en ce moment même, avec toutes les différentes choses qu’il fait.»

 

Ressac

J’ai demandé à Francisca de nous appeler si elle avait besoin d’aide à la maison ou si elle avait des questions ou des problèmes avec son programme, afin que nous puissions l’aider. Pendant deux ans, nous n’avons eu aucune nouvelle. Deux ans plus tard, le téléphone sonne et comme du fond d’un mystérieux abime, nous entendons les voix de Francisca et de Roberto. Ils pleurent et nous disent que la meilleure semaine de leur vie et de celle de leur fils, alors âgé de six ans, est celle qu’ils ont passée avec nous.

De retour chez eux, ils avaient essayé le programme sans succès. «Nous avons honte parce que nous avons eu peur et que nous avons recommencé à porter des jugements. Et nous avions l’impression d’avoir déjà pris tellement de votre temps, que nous ne pouvions pas vous demander plus. Alors, nous avons fait notre possible pendant un certain temps, nous avons même eu recours à la chimiothérapie, nous sommes allés à l’université de Mexico pour participer à des programmes comportementaux.»

Il était clair que Robertito était alors moins avancé qu’il ne l’avait été à quatre ans. Ses parents demandaient notre aide. Nous leur avons répondu que nous voulions vraiment les aider. Ils voulaient prendre leurs économies et déménager à New York où nous travaillions à cette époque, et nous demandaient si nous pouvions leur consacrer une heure ou deux par semaine pour les guider dans leur programme.

Nous leur avons répondu que s’ils venaient, ce n’est pas deux heures par semaine que nous voulions leur donner. «Donnons à Robertito la plus grande chance possible. Nous allons travailler avec vous chaque jour de la semaine. Nous travaillerons ensemble.» Ils ont déménagé à New York avec un petit garçon dont le quotient intellectuel avait été évalué par trois grandes universités comme inférieur à 7. Une tomodensitométrie et une électro-encéphalographie avaient révélé la présence d’une lésion sur le lobe frontal gauche. Les médecins nous ont dit: «Nous sommes au courant de votre travail auprès d’autres enfants et de votre fils. Oubliez cet enfant. Il souffre de lésions cérébrales organiques. Il ne pourra jamais faire des choses qui exigent des qualités intellectuelles, qui relèvent du langage ou de la généralisation.

Nous leur avons répondu: «Vous savez, voilà la différence entre vous et nous. Vous avez une idée préconçue sur ce qui est possible. Nous n’en avons aucune. Vous dites qu’on ne peut pas aider ce petit garçon, vous ne faites rien pour l’aider. Quatre ans plus tard, il n’a pas changé et vous vous servez de cela comme une preuve de ce que vous croyiez initialement: qu’on ne pouvait pas l’aider. Mais nous célébrons notre vie pas nécessairement en essayant d’atteindre un but, mais en essayant d’exprimer ce qui est dans notre cœur.» Et nous avons essayé d’aider cette famille à suivre ce que leur dictait leur cœur. le forcer à entrer dans le nôtre. Donc, s’il claquait des doigts, nous claquions des doigts,

 

Premier programme appliqué à un autre enfant

Nous avons donc mis sur pied un programme de formation avec des bénévoles provenant de collèges et d’universités de la région. Raun est devenu l’un des principaux participants à ce projet de même qu’une de nos filles et bien d’autres personnes. Dans un livre intitulé A Miracle To Believe In, je donne un récit très détaillé de notre travail avec cette famille.

Mais ce qui est vraiment spécial dans mon livre, ce n’est pas ce qui est arrivé à Robertito dans un environnement d’acceptation et d’amour total, ce qui a été vraiment spécial, c’est ce qui nous est arrivé à tous auprès de cet enfant. Chaque enfant représente une occasion pour nous d’apprendre quelque chose sur nous-mêmes, d’être plus heureux, plus aimant, plus fort.

 

Acceptation de soi préalable chez l’éducatrice

Une des jeunes filles qui s’est offerte comme bénévole nous a dit, à la fin de son entrevue: «Je ne pense pas que vous vouliez vraiment m’engager.» Je lui ai demandé pourquoi. Elle m’a répondu qu’elle avait omis de mentionner une chose: elle était épileptique. Ce à quoi j’ai répondu: «Oh! Et moi, j’ai une barbe et des cheveux longs.» Qu’entendais-je par là? Elle a donc commencé à travailler avec nous, et il ne nous était jamais venu à l’idée que nous aurions à affronter ses problèmes concernant l’épilepsie.

Nous nous occupions d’un enfant autiste. Mais elle a commencé à avoir peur de faire des crises d’épilepsie pendant nos séances avec Robertito et de nuire ainsi à notre programme. Nous avons donc fait des séances de dialogue et de thérapie d’option avec elle en nous fondant sur des questions comme: «Pourquoi crois-tu que si tu as des crises pendant le programme, elles vont en quelque sorte détruire celui-ci? Pourquoi tes crises te mettent-elles mal à l’aise? Qu’est-ce qui, dans le fait d’être épileptique, te rend aussi malheureuse?»

Ainsi, en discutant de ses peurs et de ses opinions, à mesure qu’elle se sentait mieux, elle nous a confié: «C’est drôle, vous savez. Lorsque j’ai offert mes services pour ce programme, je me disais que vous alliez faire un miracle pour ce petit garçon comme vous aviez fait pour votre fils et pour d’autres enfants – j’avais lu ça en quelque part – et je n’arrêtais pas de me demander si un miracle m’attendait, moi aussi.» «A quelle sorte de miracle t’attends-tu?» Elle m’a répondu: «Ne plus être épileptique». Mais elle a fini par comprendre que peut-être cela était possible seulement si elle acceptait le fait qu’elle était épileptique, si elle apprivoisait sa maladie.

Cela peut sembler bizarre, mais elle devait accepter totalement sa maladie et se dire qu’elle avait surement quelque chose à en apprendre. Nous avons repris les séances avec elle et elle a commencé à remarquer que ses crises diminuaient en fréquence et en intensité. Elle prenait des médicaments très forts depuis l’adolescence – et elle avait alors vingt-trois ans – mais ses crises avaient continué. Donc, ses crises ont commencé à diminuer, à un point tel qu’elle a décidé de cesser de prendre ses médicaments.

Elle voulait savoir ce que nous en pensions. Je lui ai répondu que je ne pourrais jamais, ni ne voudrais, prendre une décision pour elle. Elle savait mieux que moi. «Qu’en penses-tu?» lui ai-je demandé. «Que veux-tu faire?» Elle a donc établi un plan pour cesser petit à petit de prendre ses médicaments, parce qu’elle le voulait, et ses crises ont complètement disparu. Il y a trois ans de cela et elle n’a jamais refait de crise depuis ce temps.

Une autre jeune fille qui participait au programme, a commencé à travailler avec Robertito, ce petit garçon végétatif, au Q.I. de 7, qui ne parlait pas encore, mais qui commençait à réagir pour la première fois de sa vie. Elle était mexicaine et elle essayait de trouver une façon de lui montrer à poser un cube vert sur un cube bleu. Avant même qu’elle lui dise de le faire, il l’a fait. Elle a pensé ensuite qu’elle voulait qu’il mette les cubes sous la table – elle voulait lui donner quelque chose de plus facile à faire. Avant même qu’elle ait le temps de formuler son vœu, il l’a fait. Elle s’est alors précipitée hors de la pièce pour dire à Francisca qu’elle abandonnait le programme et retournait au Mexique. Ce soir-là, je lui ai dit: «Ecoute, si tu veux abandonner le programme et retourner au Mexique, tu peux le faire. Mais nous pouvons peut-être parler de ce qui t’a bouleversée ainsi pendant ta séance avec Robertito aujourd’hui.»

Elle nous a raconté que dans son enfance, il lui arrivait d’avoir des pensées qui, bien des fois, se concrétisaient et que certaines choses se produisaient alors autour d’elle. Dans sa culture, on considérait cela comme une chose terrible, c’était presque comme si elle avait des pouvoirs psychiques. Elle les a donc remisés dans un endroit éloigné de son cerveau et elle n’a jamais voulu y repenser. Mais ici, ils sont réapparus.

– Pourquoi penses-tu que c’est mal, pourquoi es-tu mal à l’aise lorsque tu penses à quelque chose et qu’une personne réagit sans que tu aies à formuler ta pensée? lui ai-je demandé.

– C’est comme si je contrôlais cette personne, a-t-elle répondu.

– Que veux-tu dire?

– Eh bien, je la contrôle avec ma tête, ça doit être quelque chose d’affreux.

– Pourquoi crois-tu que tu la contrôles?

– Je ne sais pas, a-t-elle répondu.

Nous avons donc décidé de faire une expérience. Le jour suivant, elle a demandé à Robertito d’exécuter dix tâches. Ce dernier en a exécuté six sur dix. Elle a ensuite pensé à dix tâches et il en a exécuté quatre. Elle a soudain compris que, bien qu’elle ait trouvé une autre façon de communiquer avec lui, il était libre de lui obéir, qu’elle formule ses demandes verbalement ou non.

 

Communiquer autrement

Dans le cadre du programme – et cela en devint une partie utile – elle a soudain trouvé une manière concrète de communiquer avec lui. D’une certaine façon, un enfant qui souffre de lésions cérébrales tout en étant autiste fonctionne avec le côté droit de son cerveau sans se servir de la partie considérée comme le siège de la pensée, du langage, de la logique, la partie gauche. Donc, la communication fondée sur les attitudes relève du côté droit du cerveau. Elle se servait donc du côté droit de son cerveau pour communiquer avec un petit garçon qui ne fonctionnait qu’avec le côté droit de son cerveau.

Et à cause de la richesse de ses aptitudes à cet égard, les résultats étaient vraiment extraordinaires à nos yeux, dans le cadre de notre programme. Nous n’avions pas encore trouvé de façon d’établir un contact visuel avec Robertito. Un jour, Raun, notre petit garçon jadis autiste, se trouvait dans la pièce avec lui, l’imitant, le suivant dans son monde; soudain, Raun et Robertito se sont assis et ils ont commencé à se regarder, et Robertito a maintenu le plus long contact visuel qu’il ait eu avec un être humain. Francisca était là et je regardais ma montre: «Dix secondes, vingt secondes, trente secondes, quarante secondes!» C’était vraiment impressionnant. Soudain, Raun, qui avait alors cinq ans et demi, s’est tourné vers nous et de la voix la plus douce, la plus calme, une voix pourtant empreinte de sagesse, nous a dit: «Nous sommes en train de nous dire la vérité. Nous le faisons avec nos yeux.»

 

Transformer le rôle du père

Roberto, le père, était issu d’un milieu où il avait été maltraité, vraiment maltraité: on le battait jusqu’à lui briser les os quand il était petit. C’est ainsi qu’on l’avait élevé. Dans le cadre du programme, il a appris à exprimer la partie de lui-même la plus douce, la plus tendre, une partie qui dans sa culture est toujours considérée comme étant féminine. Etre délicat avec un enfant, le caresser, bercer un petit garçon et l’embrasser.

Il a appris à ne plus juger. Il avait en lui un côté masculin et un côté féminin et il avait toujours dû réprimer son côté féminin et accentuer son côté masculin. Il a appris à utiliser tout ce qui était lui et à se faire confiance entièrement.

 

Des résultats remarquables

Quels résultats cela a-t-il donné? En un an et demi, le Q.I. de Robertito, qui était alors de 7, passa à 30, puis à 60 pour dépasser 90, pendant cette courte période. À son départ, ce petit garçon autrefois muet, végétatif, pouvait faire des phrases de sept à huit mots, réagissait normalement, pouvait jouer aux dominos, aller à bicyclette, reconnaissait et aimait les gens autour de lui et ses parents, et participait d’une façon plutôt sensationnelle au programme en ce sens qu’il commençait à se comporter presque tout à fait normalement. Il ne le faisait pas parce qu’on le forçait. Il le faisait parce que les gens l’acceptaient comme il était, entraient dans son monde, créaient des liens.

D’une certaine façon, c’est comme traverser un pont pour atteindre une personne d’une autre planète et établir des liens de confiance avec cette personne. Lorsque la confiance est là, cette personne d’une autre planète, ou cet enfant, a alors le désir de prendre notre main et de traverser le pont à son tour pour gouter les différentes choses que nous avons à offrir, pour essayer le mode de vie et la culture que peut-être nous préférons, nous.

Robertito est retourné chez lui et a continué à se développer et il se comporte maintenant d’une façon considérée comme normale pour un garçon de son âge. Ses parents travaillent encore avec lui mais il va extraordinairement bien, un petit garçon qui ne faisait littéralement rien.

 

Perspective

Il y a d’autres Robertito pour nous. Je ne l’ai jamais dit d’une façon aussi directe et je pense que cela ne plaira pas à certains d’entre vous: on peut traiter l’autisme. On peut vaincre les troubles cérébraux. On peut transformer les lésions cérébrales. On peut se remettre d’une attaque d’apoplexie. Il y a environ onze ou douze mois, nous avions tellement de demandes provenant de personnes de tous les pays que nous avons décidé de créer une façon plus fonctionnelle de travailler avec les gens. Nous avons donc fondé à Scheffield, au Massachussetts, ce que nous avons appelé le Option Institute and Fellowship. C’est un établissement de formation qui attire des gens de tous les pays.

Il est assez ironique de voir que certaines personnes y viennent tout simplement pour être plus heureuses, pour apprendre à mieux s’accepter. D’autres arrivent avec des problèmes catastrophiques qu’elles veulent essayer de régler. Et quand on parle de miracle en ce qui touche notre travail – même aux yeux de ceux qui doutent – ces miracles semblent toujours s’appeler Robertito ou Raun, mais je pense que le vrai miracle, s’il en est un, c’est de s’accepter soi-même. Le vrai miracle, c’est d’apprendre à avoir confiance et à être capable de regarder cette richesse au-dedans de soi, cette acceptation, cet amour.

 

Dissiper l’anorexie infantile

Une des personnes qui vint à l’Institut était la mère d’une petite fille qui allait mourir et qui s’appelait Mimi. Mimi était une petite fille très spéciale. La première petite fille classée aux Etats-Unis comme étant anorexique de naissance. Une enfant qui a refusé de manger à partir du moment où elle est née. Une enfant ayant aussi diverses tendances comme l’autisme, mais qui était surtout anorexique.

D’abord, on l’a nourrie avec des tubes, puis quand on a dû arrêter parce que les veines de ses bras étaient endommagées, on a inséré les aiguilles dans ses pieds, puis dans son cou, puis quand cela n’a plus marché, on lui a mis un tube dans la gorge. Puis, on a descendu un tube dans sa gorge par son nez et on l’a nourrie ainsi. Puis quand cela est devenu un problème pour cette petite fille anorexique de deux ans, on a percé un trou afin de placer un tube directement dans son estomac; huit fois par jour, on y versait des mélanges nutritifs.

Et savez-vous ce qu’elle faisait, à deux ans? Les médecins de l’hôpital étaient tout à fait perplexes. Ils versaient la nourriture et cette petite fille de deux ans, qui avait l’air d’avoir un an et demi, attendait quatre ou cinq minutes avant de mettre ses doigts dans sa gorge pour vomir. Presque comme si elle savait. A quatre ans, Mimi allait mourir. Le tube était en train de désintégrer son estomac; son tube digestif, inutilisé, était en train de s’atrophier et de disparaitre.

Paula, sa mère, ayant lu un livre intitulé A Miracle To Believe In, le livre que nous avions écrit sur Robertito, ainsi que Paroles de jeunes, qui concernait notre travail avec des adolescents et des enfants, avait décidé qu’elle voulait un miracle. Elle avait senti que c’était la bonne façon. Elle ne croyait plus à celle dont on avait procédé pendant les quatre dernières années: il ne s’agissait plus de nourrir l’enfant de force, mais d’apprendre à l’accepter d’une façon qu’elle ne pouvait même pas comprendre mais qu’elle sentait, au plus profond d’elle-même, comme étant la bonne.

Elle nous a appelés pour nous dire qu’elle voulait venir à l’Institut et travailler avec son enfant sous notre guidance. Nos avocats nous ont conseillé de ne pas la laisser venir car la petite fille pouvait mourir à n’importe quel moment. C’était une grosse responsabilité. D’autres personnes les ont approuvés en disant que son cas semblait vraiment désespéré. Nous n’avions jamais vraiment affronté ce problème-là: nous avions affronté des lésions cérébrales, des attaques, des cancers, mais il s’agissait là d’une enfant qui voulait se suicider, qui ne voulait vraiment pas être nourrie. Paula insistait et nous ne voulions pas écouter les peurs des autres. Nous voulions l’écouter, elle, et sa volonté d’essayer autre chose, de faire tout son possible pour sa fille.

Mimi est donc venue à l’Institut et nous avons formé un personnel composé de quinze personnes qui travailleraient avec elle 24 heures sur 24, 7 jours par semaine. Nous avions l’intention de revenir sur ses quatre années précédentes et de lui redonner le contrôle de sa vie. Nous allions accepter le fait qu’elle ne voulait pas manger, l’accepter comme elle était, nous n’allions ni la forcer ni la manipuler.

J’ai posé à Paula une question, qui ressemble beaucoup à celle que j’avais posée à Francisca, une question à laquelle Paula a dû faire face pendant les trois derniers mois et demi:

– Comment vous sentiriez-vous si Mimi arrêtait de manger?

– Très mal.

– Pourquoi?

– Parce qu’elle mourrait.

– Et que ressentiriez-vous si elle mourait?

– Je serais très malheureuse.

– Pourquoi seriez-vous malheureuse si votre fille mourait?

Il peut sembler absurde de demander à une mère comment elle se sentirait si son enfant mourait. Mais, ce qui est intéressant, c’est que ma question a touché tout un aspect de Paula qu’elle ne connaissait pas:

– «Je serais une mauvaise mère parce que je n’aurais pas essayé assez fort. En quelque sorte, je suis responsable de ce défaut génétique de son cerveau qui fait qu’elle rejette la nourriture et l’affection.»

Petit à petit, Paula a fini par comprendre ce qui se passait chez sa fille. Par périodes de trois heures, nous avons créé pour la petite Mimi un monde dans lequel elle contrôlait tout. Plutôt que de la forcer, de ne pas l’accepter et de juger son comportement, qu’elle se frappe la tête contre le mur ou qu’elle piétine ses aliments, qu’elle repousse les gens ou coure en tout sens dans sa chambre, nous restions près d’elle, nous l’aimions et l’acceptions comme elle était.

Nous l’acceptions avec notre cœur. Il ne s’agissait pas d’une stratégie ou d’une tactique. Si vous pensez cela, vous vous méprenez. Nous l’acceptions de tout notre cœur. Nous acceptions même que Mimi meure. Qu’elle refuse d’être nourrie et d’être là.

Le quinzième jour, à mesure que les liens grandissaient entre Mimi et nous, un thérapeute est entrée dans sa chambre avec une banane, tranchée en plusieurs morceaux invitants. C’était peut-être la première fois de sa vie qu’on offrait à Mimi de la nourriture qu’elle pouvait choisir de prendre ou de refuser. Elle a pris un morceau de banane et l’a mangé. C’était la première fois de sa vie qu’elle mangeait un aliment solide.

Après quinze jours seulement. Mimi se trouve à l’Institut depuis un peu moins de quatre mois. Depuis vingt-quatre ou vingt-sept jours elle n’a reçu aucune nourriture à travers son tube. Elle mange avec joie, presque avec férocité. Dimanche dernier, elle a mangé – n’oublions pas qu’il s’agit d’une enfant qui a l’air d’avoir deux ans et demi, car l’absence de nourriture a limité sa croissance – deux sandwiches au beurre d’arachides et à la confiture, deux galettes de riz, une tranche de pain grillé, et elle a bu deux grands verres de jus d’orange, tout cela en un seul repas, plus que je ne pourrais manger moi-même.

Une petite fille qui refusait de manger depuis quatre ans et qui mange maintenant très bien. Lorsque Mimi est venue à l’Institut, elle n’avait jamais prononcé un mot de sa vie. Or, le mois passé, elle a prononcé trente-cinq mots différents dans un contexte approprié. Elle commence maintenant à dire des mots lorsqu’elle veut quelque chose et à communiquer avec les autres. Elle a trouvé une raison de vivre au fond d’elle-même et un lien avec les gens qui lui ont donné un environnement empreint de douceur, d’amour, de tendresse qui lui a permis de trouver cette raison. Un environnement qui l’acceptait, acceptait ses décisions.

 

Pour une nouvelle attitude éducative

Il existe aux Etats-Unis une sorte de formulaire que tous les enseignants remplissent à propos des enfants qui ont un problème. Ce formulaire reflète plus ou moins l’idée préconçue que se fait un professeur, un médecin ou un thérapeute sur ce que l’enfant doit réaliser en six mois ou un an.

Ils ne regardent pas l’enfant en se demandant ce que ce petit être veut, ce qu’il peut être, ce qu’il peut tolérer, mais en fait, ils le regardent en fonction de ce qu’ils veulent, eux, de l’enfant.

Nous proposons une nouvelle façon de travailler avec les gens et avec les enfants. Il s’agit de mettre de côté nos désirs, nos jugements, nos attentes et de dire à l’autre: «Tu es parfait comme tu es». Il est très difficile de trouver un professeur ou un thérapeute prêt à dire cela car ils n’acceptent pas vraiment leur femme, leur mari, leurs propres enfants, leurs parents, la société où ils vivent.

Lorsque nous montrons à des gens à travailler avec des enfants et des adultes, nous ne leur montrons pas à imiter une stratégie ou une tactique consistant à accepter une autre personne ou à entrer dans son monde pour faire ce qu’elle fait; nous les incitons d’abord à examiner leurs propres jugements à l’égard d’eux-mêmes, à s’accepter eux-mêmes. Comment puis-je accepter un petit enfant qui se cogne la tête contre le mur si je ne peux pas accepter ce que je fais moi-même? Comment puis-je accepter un enfant qui refuse de participer à des jeux si je ne peux pas accepter ce que je fais ou ce que fait mon fils ou ma fille, mon mari ou ma femme?

C’est donc en nous-mêmes que se trouve la possibilité de créer des changements. Communiquer, c’est peut-être ne pas juger. Nous pouvons tous commencer là: regarder nos jugements et nous demander si nous voulons nous contenter de faire semblant, parce que ça parait bien. Voulons-nous vraiment regarder en nous comme nous ne l’avons jamais fait auparavant? Nous avons ce choix, il est très simple. Chacun de nous peut prendre conscience de ce qu’il est vraiment. Vous êtes la plus merveilleuse personnification du potentiel humain. Cela commence peut-être par la volonté de nous regarder nous-mêmes sans jugement, sans attente et sans condition.

Et nous avons appris, en travaillant auprès des gens, que nous pouvons apprendre à partager cette attitude. La question au fond se résume à: «Voulez-vous vraiment profiter de cette occasion pour commencer aujourd’hui?» Vous pouvez oublier ce que vous venez de lire, mais vous empêchez ainsi la réalisation de votre potentiel. Vous pouvez dire que je suis fou. Si vous êtes médecin et si vous croyez vraiment à l’ancienne conception du retard mental et de l’autisme, vous pouvez dire aux gens que ce n’est pas vrai, qu’il est impossible de changer ces situations. Même si vous le dites, ce n’est pas vrai.

Nous avons aujourd’hui la chance de réviser nos attitudes et de créer de nouvelles possibilités. Nous pouvons aussi passer le reste de nos jours dans l’erreur, comme les contemporains de Galilée. Mais le monde va changer de toute façon. La vérité survivra. Au fond, il reste à savoir si vous voulez profiter de cette découverte maintenant, pendant que vous êtes en vie et si vous voulez qu’elle vous aide dans votre travail avec les gens, ou si vous voulez la garder pour la prochaine génération. Vous pouvez l’oublier complètement. Vous pouvez faire semblant de ne rien savoir. Ou vous pouvez regarder en vous-mêmes, non pas d’une manière critique comme un tribunal d’inquisition mais avec amour et tolérance.

Demandez-vous si vous vous acceptez, si vous vous jugez, si vous acceptez les gens qui vous entourent ou si vous les jugez. Si oui, demandez-vous pourquoi et ne vous blâmez pas de les avoir jugés dans le passé. Dites-vous que vous pouvez maintenant découvrir pourquoi vous les jugez. Si vous renoncez à ces jugements, comme nous l’avons fait avec Raun, Robertito, Mimi et bien d’autres personnes que nous avons vues dans un milieu d’amour, d’acceptation et de confiance, vous créez la possibilité de renaissances merveilleuses et de régénérations étonnantes.

Celles-ci restent miraculeuses seulement dans la mesure où nous ne savons pas comment elles se produisent; mais pourquoi attendre que la science explique ce qui est déjà possible? La question revient donc: «Que voulez-vous pour vous-même?» Demandez-vous pourquoi vous lisez ceci. Que cherchez-vous? Vous avez une occasion merveilleuse de recommencer à neuf aujourd’hui, de considérer une autre façon d’être. Pas seulement la façon d’être un père ou une mère, un professeur ou un thérapeute plus efficace, mais la façon d’être une personne plus efficace, plus forte et plus aimante.

 

Changement bien ordonné commence par soi-même

Et si vous vous réalisez ainsi vous-même, le reste suivra. Cette dimension de vous-même est à votre portée, cette recherche sans jugement et sans attente face aux personnes que vous aimez et à vos camarades de travail. Vous voulez changer le monde? Changez vous-même. Vous voulez que les choses se passent autrement? Commencez chez vous, dans votre cuisine, quand vous visitez vos parents ou vos enfants. C’est là que commencent les changements.

Quand nous parlons du travail avec des enfants handicapés nous n’en parlons pas comme un mécanicien ou un thérapeute qui travaille de neuf à cinq avant de rentrer à la maison et de faire autre chose. Notre travail est une façon de vivre.

Je demande toujours à la personne qui enferme un enfant dans un cabinet d’isolation, le réprimande ou le traite avec rudesse: «Feriez-vous de même avec votre propre enfant, avec votre mère» et on me répond toujours; «Bien sûr que non!» Je lui dis que je ne fais jamais rien à un adulte ou un enfant que je ne ferais aux gens que j’aime, à mes enfants, mes parents.

Je vise à abandonner cette division, à comprendre, dans mon travail avec les gens, que nous sommes nous-mêmes dans notre travail. J’ai commencé par vous poser une question : «Qui veut profiter de cette occasion pour être plus heureux?» J’ajoute : «Qui veut en profiter pour traiter l’autisme, le retard mental, ou quoi que ce soit?» Je veux relier cela au fait qu’en se montrant plus aimant envers soi-même et en étant plus heureux, nous créons de nouvelles possibilités pour les gens avec qui nous travaillons ou que nous aimons.

Cette transformation commence au-dedans. Vous avez la possibilité de commencer dès maintenant, de changer dès maintenant. Vous pouvez vous en servir ou vous pouvez en rire ou la rejeter. Vous avez peut-être déjà entendu un conférencier mentionner cette possibilité et vous l’avez écartée mille fois. Une nouvelle occasion se présente à vous. Vous pouvez vous aimer sans jugement et réviser vos jugements lorsque vous en avez, et commencer à neuf, maintenant, si vous le voulez. Et si vous le faites, vous ouvrez la voie à de nombreux miracles autour de vous, mais le plus grand de ces miracles, ce sera vous, parce que vous serez plus disposé à aimer et à accepter.

 

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