éducatrice à l'enfance

Le développement humain dans la classe

« La scie à découper », déclare une tête frisée. « Donc, tu sais te servir d’une scie à découper. Veux-tu nous expliquer ça ? »  relance l’enseignante. « D’abord je fais le dessin, puis je le calque sur la planche et ensuite je découpe. J’ai fait un chat et j’ai commencé un cheval. »  Antoine montre un sourire édenté en décrivant sa réussite par des gestes éloquents. L’enseignante commente : « Je vois que tu es fier de toi. Merci Antoine de nous avoir parlé de ta réalisation. »  Impatiente, Lina lève la main avec enthousiasme : « La machine à coudre : ma mère m’a montré comment m’en servir et maintenant, je peux coudre et même suivre un patron. Je me suis cousu une jupe. »  La remerciant de sa contribution, l’enseignante lui demande aussi « Comment te sens-tu quand tu couds ? » « Je suis contente ! Je suis grande ! »

Le cercle d’échange en classe

Dans ce groupe, des enfants de dix ans assis en cercle avec leur enseignants trouvent des appareils qu’ils savent utiliser et expliquent comment ils s’en servent. Dans cette séance quotidienne de leur « Cercle magique », ils participent à un exercice de réalisation portant sur le thème « Des appareils dont je sais me servir. »  Après cet échange, le conseiller scolaire, qui observe, apporte son appui à l’enseignante : il l’encourage à employer la communication du type « question ouverte » dont elle s’est servie pour aider Antoine à décrire son usage de la scie à découper. Il l’incite également à utiliser l’écoute affective que l’enseignant a apprise pendant la formation donnée par le conseiller au début de l’année scolaire. « Antoine était rayonnant quand tu as résumé sa description. Je voyais qu’il montrait sa compétence non seulement à toi et à tous ses camarades, mais aussi à lui-même. Tu as vraiment saisi ce sentiment. »

Plus tard, dans la même journée, le conseiller fait une démonstration de cercle d’échange à une enseignante auprès d’enfants de neuf ans, qui a demandé son assistance pour résoudre un problème. Cette enseignante a commencé à employer le Cercle magique dans sa classe et elle éprouve des difficultés face à certains comportements défavorables. Il introduit un thème de conscience, et les jeunes s’expriment sur leurs sentiments agréables et désagréables. Quelques enfants commencent à s’agiter. L’enseignante se souvient qu’elle a appris dans la formation qu’une atmosphère d’acceptation doit prévaloir dans le Cercle; alors elle hésite à ramener à l’ordre ceux qui dérangent. Avant de commencer la démonstration, le conseiller explique à l’enseignante que le sentiment est toujours accepté mais que le comportement nuisible ne l’est pas.

Pendant l’échange, que le conseiller anime, les enfants parlent d’expériences où ils se sentent mal. Un des garçons dit qu’on l’a fait fâcher durant la récréation. Un compagnon a pris sa balle et l’a lancée sur le toit. Le garçon se sent alors encore en colère et il veut donner un coup de pied au camarade assis à côté de lui. Le conseiller l’arrête et dit « Je vois que tu es fâché, et je te comprends, mais tu ne dois pas donner un coup de pied à Miguel. »  Le conseiller donne l’exemple de l’acceptation des sentiments de l’enfant tout en décourageant le comportement hostile.

 Animation

Les deux situations mentionnées ici fournissent des exemples du Programme de développement affectif et social (PRODAS), implanté dans une école publique où le conseiller scolaire dispense formation et supervision aux enseignants.

L’Échange ou Cercle magique est une activité quotidienne où l’enseignante et les jeunes explorent leurs pensées, leurs sentiments et leurs comportements.

L’enseignante a participé à la formation qui l’a outillée pour animer; elle invite chaque enfant à parler et s’assure qu’il soit écouté. Elle présente le thème de la façon proposée dans le guide de l’animateur et donne l’exemple de l’écoute et d’un comportement favorable. Au moment approprié, elle confiera l’animation du groupe aux jeunes pour qu’ils apprennent à assumer un leadership constructif. Comme ces comportements sont répétés tous les jours, et les taches sont graduées, l’enfant y développe des modèles de comportement constructif. Comme approche préventive de santé mentale en milieu scolaire, le Programme de développement affectif et social s’appuie sur un modèle de croissance pour promouvoir la formation personnelle et sociale chez les enfants. Il enseigne aux jeunes à se connaitre eux-mêmes afin de devenir plus responsables de leurs choix et de leurs actions.

 Conscience, réalisation et interaction sociale

Le Programme-de développement affectif et social développe trois facteurs principaux: la conscience (connaître ses sentiments, ses pensées et ses actions), la réalisation (confiance en soi et efficience) et l’interaction sociale (comprendre les réactions des autres).

À mesure que les enfants grandissent, ils sont portés a dissimuler leurs sentiments et leurs pensées et déforment inconsciemment leurs expressions et leurs actions. Ils commencent â se sentir différents, inférieurs, socialement inacceptables. Ce sentiment négatif d’être seul en son genre a été créé dans notre société par une conspiration du silence. Nous parlons très peu de notre imaginaire, de nos rêves, de nos pensées étranges, de nos sentiments de solitude, de nos impressions d’inutilité. Les enfants sont éduqués sans apprendre à connaitre la valeur de leurs propres sentiments. Quand ils ont peur, nous leur disons souvent qu’il n’y a rien à craindre. Quand ils souffrent, nous leur disons d’être braves et souriants. Encore tout jeunes, ils en concluent que leur expérience est unique, suspecte et indicible.

Conscience

Dans le Cercle d’échange, nous donnons aux enfants l’occasion de développer la conscience de leurs sentiments agréables et désagréables, de leurs pensées positives et négatives, et de leurs comportements constructifs et destructifs. Ils discutent de la distinction entre le réel et l’imaginaire, de leurs ambivalences et de leurs peurs; ces thèmes impliquent un engagement et aident à dissiper l’illusion qu’ils sont seuls en leur genre.

Par exemple, un enfant de la maternelle courut de l’école à la maison tout pétillant d’excitation au sujet du thème du jour : « Devine maman ? Josée a peur du noir; Sylvie a peur du noir; et Paul a peur du noir aussi. Je ne suis pas fou après tout. »  Cet enfant avait appris que ses compagnons de classe étaient comme lui. Des thèmes de conscience comme « J’ai fait un rêve épouvantable » ou « D’une façon, je désirerais être différent »  ou « Quelque chose que je veux même si c’est impossible »  aident les enfants à réaliser qu’en fait, nous sommes plus semblables aux autres que différents d’eux.

Réalisation

Les écoles doivent développer le sens de la réalisation, la motivation qui pousse les gens â se dépasser. C’est la réalisation qui motive un enfant ô se balader en équilibre sur un rail alors qu’il est bien plus facile de marcher ô côté. Pour se réaliser, des gens risquent leur vie à escalader une montagne. Ca fait beaucoup de bien de dire : « J’ai relevé ce défi. »  Les activités de réalisation ont pour but d’intensifier chez les jeunes leurs sentiments de compétence personnelle et de contrôle de leur environnement. Dans un module de réalisation, les enfants peuvent sentir leur puissance physique, intellectuelle, sociale selon le thème proposé. Quand les jeunes manifestent leur fierté de savoir aller à bicyclette, parler une langue étrangère, garder le bébé ou retenir par cœur des numéros de téléphone, l’enseignante reconnaît leurs capacités et les encouragera â les développer.

Le facteur de réalisation du Programme de développement affectif et social développe aussi la compétence responsable, qui consiste à utiliser ses capacités d’une façon qui est aussi bénéfique pour les autres. La compétence responsable tient compte de la valeur de tous les êtres humains. Nous pouvons être tous gagnants en nous améliorant nous-mêmes tout en respectant les autres: je construis une scierie mais je ne jette pas les déchets dans la rivière. Dans le Cercle d’échange chaque enfant peut parler de « Quelque chose que je réussis très bien » ou « Une promesse que j’ai faite et que j’ai tenue. »  Ils découvrent ainsi que nous pouvons tous gagner sans que personne ne perde.

Interaction sociale

Dans les thèmes d’interaction sociale du Programme de développement affectif et social, nous aidons les enfants à comprendre ce qui cause le rapprochement et l’éloignement dans les relations humaines.

« Ce que tu fais peut m’amener â me sentir bien ou mal. »  Dans le Cercle, les enfants explorent les effets qu’ils produisent sur les gens. Ils peuvent apprendre comment vivre avec les autres en voyant que c’est l’amabilité qui réussit. L’expression « Etre gentil » a peu de sens pour des adultes, mais les enfants y accordent une grande importance. Quand nous leur demandons ce qu’ils apprécient chez un ami, les enfants répondent généralement : « Je veux un ami qui est gentil envers moi. »  L’Échange donne aux enfants l’occasion de partager leurs valeurs et d’apprendre comment gagner la coopération des autres.

En général, le Programme de développement affectif et social aide les enfants à être de meilleurs auditeurs. Ils deviennent plus engagés les uns envers les autres et envers leur enseignante. La cohésion du groupe est renforcée. Leur motivation à apprendre augmente à mesure qu’ils font l’expérience de la réussite. Les absences et les problèmes de comportement diminuent. Ils apprennent à exprimer leurs pensées et leurs sentiments, et à adapter leurs comportements. Ils se familiarisent avec les relations interpersonnelles. Dans le Cercle, les enfants qui adoptent des comportements indésirables pourront en parler. Les problèmes qui existent déjà font surface, permettant ainsi à l’enseignante de mieux aider les enfants et de prévenir l’aggravation de ces situations. Les enseignants apprennent aussi à évaluer les changements produits par les procédés pédagogiques employés en classe.

Applications du programme

Le Programme de développement -affectif et social est adapté à tous les niveaux d’éducation. Des psychologues, des travailleurs sociaux, des éducateurs et des animateurs de groupe l’emploient aussi. Il comporte un ensemble de textes qui guident l’animateur à employer cette approche; le facteur le plus important du succès du programme reste l’animation du Cercle magique ; et cette intervention nouvelle a besoin d’être apprise. Elle demande formation, pratique et supervision. Une fois maitrisé cependant, cet ensemble d’attitudes, de règles et de procédés peut donner un rôle nouveau et significatif au psychologue et au conseiller scolaire.

En plus de donner une formation spécifique au Programme de développement affectif et social, nous avons constaté que pour assurer un succès complet, il est indispensable qu’un personnel compétent apporte un encouragement et une supervision régulière. Le conseiller scolaire reste la personne toute désignée pour cette fonction. Ainsi il peut aider les enseignants à observer leur dynamique personnelle et à évoluer dans l’animation de leur Cercle.

Le conseiller scolaire et la-prévention

La plupart des conseillers scolaires connaissent peu la vie quotidienne des étudiants. Leur poste est souvent le premier à tomber quand les budgets sont coupés, car leurs initiatives ne produisent pas une grande influence. Les conseillers concentrent la plus grande partie de leur temps à l’intervention curative. Ils rencontrent les seuls étudiants référés par leurs enseignants pour problèmes graves. Les jeunes évitent de rencontrer les conseillers parce qu’ils les prennent pour des administrateurs de punitions. Trop souvent les jeunes sont envoyés au conseiller quand ils présentent des comportements nocifs.

Les conseillers peuvent exercer une influence plus profonde et jouer un rôle plus dynamique en consacrant plus d’énergie à la prévention, en initiant les enseignants à des programmes de développement socio-affectif applicables à des groupes de jeunes et en en supervisant l’application.

Ils peuvent améliorer les relations entre les étudiants et les enseignants en leur offrant de nouveaux apprentissages â la communication qui peuvent servir en classe, â tous les jours. Le rôle du conseiller prend alors un nouveau sens ; il devient un agent de liaison au cœur du système de communication, au service de l’éducation intégrale de la personne.

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