entrevue d'affaires

Ma dernière entrevue avec Thomas Gordon, auteur de Leaders efficaces

Nous mangions dans un restaurant avec vue sur l’océan… La serveuse a complimenté Tom sur son énergie. Il lui a dit que son anniversaire venait bientôt, 79 ans ! Elle a été étonnée…

À quoi attribuez-vous votre vitalité ?

Je suis resté actif à tout point de vue. J’attribue mon énergie à ma longue pratique du tennis de compétition, à mon sens de l’humour, que j’ai hérité de mon père qui riait avec nous tout le temps, mon bas niveau de stress par mon attitude orientée vers les solutions, mon sommeil profond, je m’endors aussitôt que ma tête touche l’oreiller.

Comment avez-vous conçu votre modèle du leader efficace. Était-ce en observant des leaders, en faisant des recherches, des expériences ?

C’est une combinaison de ma formation comme psychologue humaniste où l’acceptation et la compréhension priment sur l’analyse et l’interprétation. Voilà une source. L’autre source fut mon travail comme consultant dans des entreprises ou j’ai formé des leaders. De cette expérience j’ai beaucoup appris sur les problèmes auxquels les leaders font face. J’aidais ces leaders à avoir de meilleurs relations avec les membres de leur équipe en animant des réunions et en prenant de meilleures décisions en y faisant participer leurs employés.

Vous êtes célèbres de votre programme de formation Parents efficaces. Comment cette formation se compare-t-elle à votre formation pour les leaders ?

Beaucoup de personnes ne le savent pas, mais Parents efficaces est venue après ma pratique comme consultant en entreprise. Un jour j’ai réalisé que la relation entre parent et enfant ressemble beaucoup à la relation entre patron et employé. Et j’ai conçu un cours pour des parents qui ressemblait aux formations que j’offrais aux cadres en entreprise et ou j’avais expérimenté depuis longtemps la méthode gagnant-gagnant. J’ai écrit le livre Leaders efficaces après plus de vingt ans d’expérience et d’observations avec ce modèle de gestion participative.

Vous faisiez la gestion participante longtemps avant que ce ne soit à la mode ?

En fait, mon premier livre, que j’ai écrit quand j’enseignais à l’Université de Chicago, s’appelait Le leadership centré sur le groupe. J’y parlais de gestion participante. J’invitais les leaders à agir comme membres du groupe, et à inviter les membres de leurs groupes à agir comme des leaders. Je préconisais des équipes autogérées, etc. Cela découlait de mes observations dans les laboratoires d’interaction sociale au National Training Laboratory, le fameux NTL. Ce livre était plutôt théorique. Il ne s’est pas vendu parce qu’il était en avance sur son temps!

Avez-vous des recherches, des données qui appuient l’approche que vous proposez dans votre livre ?

La plupart des recherches qui valident le leadership démocratique ou la gestion participative ont été faites par des chercheurs indépendants. Je suis plutôt un formateur et un consultant et je laisse aux chercheurs le soin d’évaluer les résultats de façon statistique et rigoureuse. Je me contente des résultats visibles dont nos participants nous font part. Beaucoup d’universités comme l’Université du Michigan ont fait de vastes recherches sur les effets de la participation.

Vous affirmez qu’avec votre approche nous pourrions obtenir des résultats encore plus grands si vous obteniez une participation plus grande, par exemple en prenant des décisions non pas par le vote mais par l’approche gagnant-gagnant. Vous considérez qu’un vote ne favorise pas un processus décisionnel de haute qualité et vous affirmez que le consensus amène de meilleures décisions favorisant une plus grande cohésion et une meilleure participation.

Dans certaines entreprises nous avons formé des milliers de leaders. Dans ces entreprises on a diminué radicalement le nombre de niveaux de gestion et on a confié plus de responsabilités aux équipes autogérées. Et leur productivité s’est améliorée aussi ! Tous les membres de l’équipe contribuent aux décisions alors que le leader traditionnel était seul à le faire. Ainsi tous les membres exercent leur leadership selon leurs compétences.

Mais les gens doivent apprendre comment fonctionner en équipe. Nous devons d’abord former les leaders puis les membres du groupe aux compétences essentielles pour établir une saine communication, prendre des décisions et les appliquer ensemble. Les membres de groupe ont aussi des responsabilités.

Le leadership participatif s’applique à tous les niveaux. On ne peut ouvrir un journal sans trouver un article sur la gestion participative et les équipes de travail plus ou moins autonomes.

J’ai aussi instauré la conférence de planification périodique pour remplacer l’évaluation traditionnelle. Cette méthode est plus orientée vers l’avenir t centrée sur l’action.

Comme pour tout auteur qui innove vous faites sans doute souvent face à des malentendus sur ce que vous enseignez. Quels aspects de votre approche restent les moins bien compris ?

La plus grande embuche reste la pensée en noir et blanc. Si je ne préconise pas le leadership autoritaire on pense tout de suite que je favorise une méthode laxiste, permissive, laisser faire. Le leadership permissif peut être aussi nocif et même davantage que le leadership autoritaire. Notre approche n’est ni autocratique ni permissive. L’approche gagnant-gagnant est tout à fait différente même de ce qu’on appelle le leadership démocratique.

Je suppose qu’une des sources de ce malentendu est que dans votre livre vous parlez des effets nocifs de la méthode autoritaire pendant 7 pages et vous parlez des effets nocifs de la méthode permissive pendant 1 page!

Maintenant que vous avez attirez mon attention sur cette inégalité je peux voir un peu pourquoi on ne m’a pas très bien compris !! Dans nos formations j’insiste autant sur les inconvénients de la culture permissive que de la culture autoritaire.

Le leader permissif concentrer son attention sur les besoins des membres d’équipe et néglige ses propres besoins. Nous soulignons que dans une relation équitable le leader doit satisfaire ses besoins aussi bien que les membres de son équipe. Nous soulignons qu’un leader a des besoins, professionnels et personnels comme tout être humain. Le leader efficace n’utilise pas tout le temps l’écoute active! Il s’affirme et exprime ses besoins de façon directe et franche ; cela prend quelquefois un certain courage.

Vous formez des leaders qui savent confronter tout autant qu’écouter ; le leader efficace est tout aussi affirmatif que compréhensif. Peut-être oublions-nous cette partie parce que c’est la partie difficile.

La confrontation a été la chose la plus difficile pour moi comme leader dans ma propre organisation. Je peux écouter facilement, mais c’est plus dur d’exprimer mon insatisfaction à mes collaborateurs, parce que je risque de les indisposer ; ils pourraient se fâcher, s’éloigner ; la confrontation met la relation à l’épreuve. Mais à long terme, une saine confrontation améliore les relations.

Peut-être est-il plus facile de simuler l’écoute que de simuler la confrontation.

C’est une façon intéressante de présenter les choses. Même pour l’écoute active mon interlocuteur dispose de plusieurs moyens pour vérifier si je l’ai vraiment compris. Si je confronte une personne et qu’elle n’apprécie pas mon message j’ai un autre problème ! Et parfois je dois prendre 15 ou 20 minutes pour confronter quelqu’un, m’assurer qu’il a bien compris mon message et que notre relation se porte bien.

Vous dites aussi que l’écoute est seulement un pas pour résoudre un problème. Comme leader vous n’écoutez pas pour écouter, vous n’êtes pas un psychothérapeute.

Quand quelqu’un a un problème qui ne m’affecte pas comme leader et je peux bien l’accompagner dans sa recherche et l’aider à se comprendre et à prendre une décision en lui permettant de parler autant qu’il en sent le besoin. Comme leader je fais tout ce que je peux pour que les problèmes soient résolus, sans nécessairement les résoudre tous moi-même.

Y a-t-il des entreprises où votre approche n’est pas bienvenue ou n’applique pas?

Nous formons des leaders dans des douzaines de pays différents sur les cinq continents. En fait, nous constatons peu de différences. Par exemple, la gestion japonaise est fortement autocratique aux niveaux supérieurs. Ils sont souvent des autocrates bienveillants : ils sont gentils, ils se préoccupent des familles, ils sont très préoccupés des besoins de leurs travailleurs. Cependant, les gens qui travaillent ensemble forment des équipes de travail ou règnent la participation et la collaboration?

Dans votre livre vous insistez sur les valeurs de réunions et j’entends dire que les gens en ont assez de réunions. Et vous dites qu’on ne peut pas être un leader efficace sans tenir des réunions d’équipe.

Un des problèmes avec les réunions est qu’il y a toutes sortes différentes de réunions, notamment réunions d’information et réunions de décision. Je recommande qu’on forme les membres tout autant que les leaders aux compétences essentielles pour participer aux décisions qui les concernent.

Quelle est l’erreur principale en réunions, ou la compétence principale pour améliorer les réunions ?

Les leaders doivent apprendre la résolution de conflit gagnant-gagnant. Dans toute équipe les conflits sont inévitables et on doit résoudre les problèmes qui causent ces conflits. Si on vote la majorité est satisfaite mais minorité est frustrée : il y a un gagnant et un perdant. Nous enseignons comment parvenir à un consensus pour résoudre des conflits.

À quelqu’un qui vient tout juste d’être choisi comme leader quel conseil donneriez-vous ?

Se former. Les postes de leader requièrent des compétences spécifiques. Tout nouveau leader doit se former car il passera 80 % de son temps à communiquer et résoudre des problèmes. D’expert technique il doit devenir un expert en relations humaines : c’est la responsabilité du leader.

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