2 parents qui aident au coloriage de 2 enfants

Une méthode d’éducation sans gagnant ni perdant

 

Reproduit avec une permission spéciale de Châtelaine

 

Entre l’autoritarisme de nos parents et la per­missivité du docteur Spock, première ver­sion, qu’avons-nous comme modèle pour élever nos enfants ? Nous ne voulons pas les écraser sous une autorité in­flexible, mais nous ne voulons pas da­vantage en faire des monstres gâtés et anarchiques. Ce que tout parent sou­haiterait au plus profond de soi, c’est vivre une relation de communication chaleureuse et confiante avec ses en­fants ; en faire des êtres libres, respon­sables et heureux. Personne ne sait au juste comment s’y prendre ? Peut-être ! Mats Thomas Gordon, un psychologue, pose au moins quelques solides jalons dans cette direction. Son livre Parents efficaces, sert de base à une formation prati­que offerte dans 44 pays en 24 langues.

La plupart des parents qui participent à cette formation n’ont pas de gros pro­blèmes avec leurs enfants. La moitié d’entre eux sont attirés par la méthode Gor­don parce qu’ils ont tou­jours été avant-gardistes. L’autre moitié est composée de parents qui commencent à expérimenter quelques frictions dans leurs relations avec leurs adolescents.»

Si nous voulons découvrir de nouveaux modes de relations avec les enfants et les adolescents, il faut com­mencer par prendre conscience de la fa­çon dont nous réagissons habituellement.

 

Parler peut être constructeur ou destructeur

Imaginez la scène suivante et répondez, comme vous le faites habi­tuellement avec vos enfants. Un jour, votre fille de 8 ans arrive à la maison en vous lan­ce d’un air profondément découragé : «Je suis rendue que j’ai ben trop de devoirs à faire le soir. J’ai même plus le temps d’aller jouer dehors avec mes amis.»

Des réponses typiques ressemblent à :

«On va aller voir dans le miroir ce que t’as l’air quand tu chiales de même».

«Ma fille, si tu veux t’ins­truire, il faut que tu étudies.»

«Tu es fatiguée ce soir, tu devrais aller te coucher et te lever tôt demain matin pour finir tes devoirs.»

« Est-ce que je peux te donner un coup de main ? »

L’enfant répondra sans soute : «Ben non, je suis capable de les faire toute seule mes devoirs ! C’est le travail qu’on n’a pas fini à l’école qu’il faut faire à la maison …»

«T’es juste une paresseuse. T’as qu’à travailler plus vite à l’école !».

Gordon appelle ces réponses d’adultes typi­ques, des «obstacles à la communication».

Un autre exemple de situation tendue entre parent et enfant. François s’exclame : «Pourquoi est-ce toujours moi qui dois tondre la pelouse et sortir les poubelles ? Les parents de Philippe ne l’obligent pas à faire tout ça ! C’est pas juste ! Il n’y a aucun de mes amis qui a toutes ces corvées-là à faire !» Face à une telle remarque, le parent est souvent porté à répondre  par un des douze messages bloquants.

  • Donner des ordres : «Je ne veux pas sa­voir ce que font les autres parents. Tu dois sor­tir les poubelles, un point c’est tout !»
  • Menacer: «Si tu continues à te plaindre comme ça, tu vas monter dans ta »
  • Faire la morale : «Chacun doit faire sa part de travail dans une maison.»
  • Donner des conseils, des suggestions, des solutions toutes faites : «Tu n’as qu’à de­mander à Philippe de venir t’aider pour le ga­ Vous prendrez ça comme un jeu.»
  • Persuader par la logique : «Essaye de comprendre que je ne peux pas tout faire dans la maison.»
  • Juger, critiquer : «Tu n’as aucun sens des responsabilités.»
  • Complimenter : «Je sais que tu es un grand garçon et que tu es capable de faire ça.»
  • Dire des insultes, faire honte : «Tu n’es qu’un enfant gâté, un paresseux.»
  • Interpréter, analyser : «Je pense que tu n’as pas le goût de faire ça aujourd’hui parce que tu es de mauvaise humeur à cause de tes notes à l’école.»
  • Rassurer, consoler : «Ne t’en fais pas, tout le monde a des moments de décourage­ Demain ça ira mieux.»
  • Enquêter, interroger : «Combien, parmi tes camarades, t’ont dit ce qu’ils avaient à faire chez eux?»
  • Esquiver, faire de l’ironie : «Pauvre en­fant, tes cruels parents t’écrasent sous des tâ­ches au-dessus de tes forces !»

La plupart des répon­ses des adultes ressemblent à l’une de ces douze façons de réa­gir. Or de telles attitudes répétées quotidiennement, ont à la longue un effet dévastateur sur la personnalité de l’enfant et nuisent à la création d’une véritable communication avec ses parents. Lorsque l’enfant vit une frustration ou expérimente un besoin qu’il cherche à communiquer à un adulte et qu’il reçoit pour toute réponse un ordre, un sermon, un blâme ou un trait d’ironie, il éprouve inévitablement le sentiment d’être incompris par l’adulte. Il a l’impression que ce qui se passe en lui ne compte pas. On l’oblige à se sentir coupable et à éprouver du remord quand on le juge («tu es irresponsable»). On l’encourage à devenir craintif et excessivement soumis lorsqu’on lui lance un ordre et qu’on use de menace. Ou, au contraire, à «répondre» à ses parents et à braver leur autorité. Dans la plupart des cas les réponses adultes ont pour effet d’humilier et de déprécier l’enfant. («Si tu avais le sens des responsabilités… Je vais te dire ce que tu devrais faire… Tu ne te rends pas compte de…») Le jeune est ainsi poussé quotidiennement à se sentir incapable, inférieur, stupide, méchant et à perdre l’estime qu’il a de lui-même.

Ce type de langage ferme les enfants. Ils cessent à la longue de parler à leurs parents. Ils apprennent qu’il est bien plus confortable de garder leurs sentiments et leurs problèmes pour eux.

 

On capte le détail, on manque l’essentiel

Ces douze obstacles à la communica­tion, nous ne les brandissons pas seule­ment dans nos relations avec les enfants, mais dans chacun de nos rapports avec autrui, adultes compris. En fait, lorsque deux personnes se parlent, l’un garde le silence, non pas pour écouter ce que l’autre a à lui dire, mais pour mieux pré­parer ce qu’elle va lui répondre. Nous écoutons rarement les autres.

L’une des idées qui frappent le plus les parents et les éducateurs qui participent à cette formation est la révélation de ce qu’est «l’écoute active».

Une jeune femme, mère de trois filles entre dix et quatorze ans, qui a participé aux ateliers il y a un an environ, explique : «Personnellement, suite à ces cours-là, j’ai toujours continué d’essayer de percevoir le vrai message dans ce que les gens disent, au travers de toutes leurs paroles. Ça donne une dimension diffé­rente des autres.»

«Lorsqu’un enfant – ou un adulte – nous parle, on capte en général le détail du message et on manque l’essentiel. En d’autres mots, on retient les faits et on laisse échapper les émo­tions. L’écoute active est une façon de communiquer qui met en relief les senti­ments de l’interlocuteur. C’est une invita­tion à parler. Une clef qui ouvre les van­nes de l’échange. Et cela s’apprend.

«Quand un enfant s’adresse à l’un de ses parents, c’est en général pour lui faire part d’un besoin. Il veut quelque chose, il ressent un manque ou un incon­fort, il éprouve un sentiment à l’égard d’un événement, il est tracassé par un fait ; c’est toujours parce que quelque chose se passe en dedans de lui-même.»

L’écoute active consiste à essayer de comprendre ce que l’interlocuteur ressent, c’est-à-dire à reconnaître le vrai sens de son message. Puis à renvoyer dans nos propres mots ce que nous avons compris, de telle sorte que la per­sonne qui nous a parlé puisse se rendre compte que nous avons bien saisi ce qu’elle exprimait.

Il est important, lorsque l’on fait de «l’é­coute active», de ne pas répondre en en­voyant ses propres messages (exemple : «Tu devrais faire ci ou ça . . . Ce que tu me dis me fait de la peine. Tu ressens ça parce que . . . À ta place, je… Il s’a­git plutôt de refléter ce que nous croyons être le sens des paroles de l’autre, sans rien y ajouter et sans rien y retrancher.

C’est en fait le même type de commu­nication qui s’établit entre le thérapeute et son client ; ce dernier se sent libre de dire tout ce. qu’il ressent, jusqu’à avouer le pire de lui même parce qu il sait qu’il est totalement accepté et qu’il ne sera pas jugé : C’est cette acceptation sans condition qui lui permet de clarifier ses émotions, de grandir intérieurement et de découvrir par lui-même ses propres pos­sibilités de changement.

Tout cela semble bien théorique ? Voici comment cela peut se passer dans le concret. Le premier des deux dialogues, adaptés du livre Parents efficaces, et relatant des cas vécus par l’auteur et sa fille, met en scène un père réagissant de façon habituelle à l’égard de sa fille de seize ans :

Amélie: Je ne veux pas manger ce soir.

Le père : (Tentant de la persuader par la lo­gique) Arrête-moi ça. Les jeunes de ton âge ont besoin de trois repas par jour. C’est né­cessaire à leur santé.

Amélie: J’ai pris un gros repas à midi.

Le père: (Faisant une suggestion) Bon, viens au moins t’asseoir à table, tu verras bien ce qu’on mange.

Amélie: Je suis sûre de ne rien manger.

Le père: (Interrogeant) Mais qu’est-ce que tu as ce soir?

Amélie: Rien du tout.

Voici ce que donne la conversation entre Amélie et son père quand celui-ci utilise l’écoute active:

Amélie: Je ne veux pas manger.

Le père: Tu n’as pas envie de manger ce soir.

Amélie: Non. J’ai l’estomac en boule.

Le père: Tu te sens tendue.

Amélie: Je suis nerveuse. Jean m’a téléphoné ce midi pour me dire qu’il avait à me parler ce soir après le repas. Il avait une voix bizarre, qui ne lui ressemble pas.

Le père: Tu sens qu’il y a quelque chose d’anormal dans l’air.

Amélie: Oui. J’ai bien peur que ce ne soit pour casser avec moi.

Le père: Tu as peur de ne plus le re­voir.

Amélie: Je ne pourrais pas le supporter. Sur­tout parce que je pense qu’il aimerait sortir avec Myriam. Ce serait la pire chose qui pourrait arriver.

Le père: Ce qui te fait surtout peur, c’est qu’il devienne l’ami de Myriam.

Amélie: Oui. C’est elle qui a tous les garçons. Elle a une façon de leur parler et de rire avec eux… Il y en a toujours deux ou trois autour d’elle. Je ne sais pas comment elle fait. Moi, je ne trouve jamais rien à leur dire.

Le père: Tu souhaiterais être aussi à l’aise avec les garçons que Myriam.

Amélie: Je me sens tellement stupide des fois. Je crois que je désire tellement qu’ils m’aiment que j’ai peur de dire quelque chose de ridicule.

-Le père: Tu désires tellement être populaire que tu as peur de faire rire de toi quand tu leur parles.

Amélie: Mais je ne peux pas faire pire que ce que je fais maintenant, rester là, comme une idiote, sans rien dire.

Le père: Tu as l’impression que si tu sur­montais ta peur et essayais de parler, la situa­tion ne pourrait pas être pire qu’elle ne l’est maintenant.

Amélie: Oui. Je n’en peux plus de ne pas être capable de parler dans un groupe.

Dans la première conversation, l’attitude du père bloque la communication et la fait tourner autour de la simple ques­tion de «manger ou ne pas manger’. Le deuxième dialogue permet au contraire à Amélie de parler de son vrai pro­blème et de clarifier ses émotions; elle se sent encouragée par les paroles de son père à mettre le doigt sur ses difficultés et à trouver par elle-même un début de solu­tion éventuelle (ce qui favorise l’autonomie).

 

Entre ça et une tornade de cris

Ma première réaction, après avoir appris ce qu’est l’écoute active, fut de trouver que ce n’est pas une façon très naturelle de parler aux gens et que n’im­porte qui, y compris un jeune enfant, allait immédiatement me croire folle ou stupide, si je me mettais à répéter ainsi après lui tout ce qu’il dirait. Je ne suis pas la seule, d’après l’expérience de Jacques Lalanne, à penser de la sorte.

C’est très émue (et prête à cesser au moindre signe d’agacement de sa part) que j’ai tenté ma première expérience d’écoute active avec mon mari (à son insu, évidemment). J’ai sérieusement tâtonné au début. Plus d’une fois mes réponses ont dû passer royalement à des milles de distance de ce qu’il voulait dire. Mais nous avons parlé sans arrêt une bonne heure et j’en ai davantage appris sur son travail cette fois-là qu’au cours de toutes nos conversations des six mois précédents. Est-il nécessaire d’ajouter qu’il n’a nullement semblé trouver bizarre ma nouvelle façon de lui parler’?

Je n’ai pas résisté non plus à mettre en pratique cette technique avec mon fils de trois ans et demi. Un vendredi soir, fati­guée par la journée et impatiente d’en fi­nir avec la préparation du souper, je vois Guillaume dans la porte du frigo, en train de se bourrer de biscuits au choco­lat. Je lui retire la boîte d’un geste brus­que et referme le réfrigérateur. Il se met immédiatement à hurler de toutes ses for­ces, à trépigner et à bourrer la porte de coups de poings. Tentant de refléter son émotion, je le regarde dans les yeux et lui dis: «Tu es vraiment très fâché con­tre moi». Je l’ai vu alors, à ma grande stu­péfaction, se calmer instantanément, cesser de pleurer et de trépigner pour ré­pondre simplement d’un air déçu: «Oui, parce que tu ne veux pas que je prenne de biscuits.» Entre ça et une tornade de cris …

L’écoute active est un moyen réelle­ment efficace pour amener un enfant à confier ses sentiments, ses peines et ses frustrations. Mais elle ne doit pas être uti­lisée pour manipuler l’enfant et pour lui faire accepter en fin de compte, les solu­tions parentales. Il serait très dangereux «d’écouter activement» un jeune et de terminer lentretien par une suggestion, un conseil ou un jugement de valeur. Voici l’exemple d’une mère répondant à son fils en utilisant l’écoute active dans un premier temps, mais terminant sa phrase en tentant de faire passer «son propre message». Exemple.

L’adolescent: Qu’y a-t-il de mal à fu­mer du «pot»? Ça fait moins mal que de boire de l’alcool ou de fumer du tabac. Ça ne devrait pas être illégal. On devrait changer la loi.

La mère: Tu penses que la loi devrait être changée (écoute active) pour qu’il y ait de plus en plus de jeunes qui finissent drogués (jugement de valeur).

Il n’y a rien de pire qu’une telle ré­ponse pour bloquer l’échange et pour fermer définitivement l’enfant aux efforts de communication vraie avec les adultes.

Pour qu’elle donne de bons résultats, l’écoute active doit être employée dans certaines conditions. Le parent doit avoir le temps d’écouter l’en­fant (dans le cas contraire, mieux vaut re­mettre la conversation à plus tard). II doit désirer sincèrement entendre ce que le jeune veut exprimer. II doit être capable d’accepter les sentiments de l’enfant quels qu’ils soient, même s’ils sont diffé­rents des siens ou différents de ce qu’on pense qu’un «enfant devrait ressentir».

En fait, l’écoute active doit aider le jeune à exprimer ses sentiments, à s’allé­ger du poids émotionnel qu’ils peuvent parfois représenter et à sentir qu’il est to­talement accepté par la personne qui l’é­coute.

 

«Ce n’est rien. Ça va passer !»

Plusieurs parents ayant participé à cette formation témoignent de l’efficacité de cette technique dans les situations où un enfant se fait mal et pleure bruyamment. Plutôt que de lancer les phrases rassu­rantes habituelles (qui ont pour effet de nier la réalité): «Ce n’est rien du tout. Ça va passer. Un grand garçon comme toi ne pleure pas, etc.», mieux vaut répondre aux cris en disant «Tu t’es vraiment brûlé très fort. Tu as très mal». Cette attitude provoque presque instantanément la cessation des pleurs: l’enfant est en effet certain que ses parents savent et com­prennent à quel point il éprouve de la douleur et de la peur. Ce qui est vrai des sensations physiques l’est encore plus des peines, des frustrations et des an­goisses morales. «Les enfants veulent savoir que leurs parents savent qu’ils res­sentent des émotions pénibles», écrit Thomas Gordon. Les adultes sont d’ailleurs dans le même cas face aux au­tres adultes . . . et même aux enfants.

Il serait cependant irréaliste de croire que l’écoute active est une recette mi­racle qui règle instantanément tous les problèmes de celui qui les expose à une personne qui écoute activement. Beaucoup d’entretiens avec un enfant ou un adulte se terminent souvent sans qu’aucune solution (apparente) n’é­merge de la conversation. «L’écoute ac­tive» peut parfois n’avoir comme seul ef­fet que celui de permettre au jeune d’aboutir tout seul à une solution dont le parent ne sera pas toujours in­formé.

Cette technique d’écoute, bien en­tendu, ne peut pas s’employer constam­ment. Elle n’est utile que dans les cas où l’enfant souffre réellement d’un problème ou ressent une émotion qu’il a besoin de partager. Certains parents, enthousias­més par les idées de Gordon, font l’erreur d’écouter activement à tout propos. Ce qui donne des dialogues cocasses du genre: «Papa, peux-tu me dire combien me coûterait une assurance si je m’ache­tais une voiture?» Le père: «Tu t’inquiè­tes vraiment au sujet du coût de ton assu­rance ?»

 

Quand c’est l’adulte qui a le problème

Tout’ ceci semble intéressant, pense­rez-vous (peut-être), mais comment par­vient-on à faire en sorte que les enfants nous écoutent, nous les adultes ? Car en­fin, ce sont bien souvent les attitudes des jeunes qui nous causent, à nous parents ; des problèmes,, des frustrations, des ennuis, voire des. déceptions. Que fait-on quand on ne peut vraiment pas accepter le comportement d’un enfant ? Comment l’amène-t-on à tenir compte de nos be­soins ?

Les exemples de ce genre de problème ne manquent pas : «Ma fille se précipite à la cuisine en rentrant de l’école.. Elle se confectionne un gros sandwich au beurre d’arachides et laisse le pot ouvert, le pain sur la table et le comptoir maculé…»

Chaque participant à l’atelier est tour à tour invité à raconter un cas semblable vécu. Ce­lui qui me vient à l’esprit a saris doute été expérimenté par des milliers de parents ; il s’agit d’une scène qui se répète quoti­diennement à mon retour du travail. Je ne rêve que d’une chose : m’asseoir sur le di­van et me reposer, ne serait-ce qu’un quart d’heure, en parcourant le journal. Mon fils, lui, désire immanquablement que je joue avec lui. Il me tire par la manche, grimpe sur mes genoux et ne cesse de froisser les pages que je déploie devant moi.

«Dans ce genre de situation, c’est ma­nifestement le parent qui a un problè­me». Le comporte­ment du jeune a un effet concret qui frustre l’adulte dans ses besoins : prendre un peu de repos ou ne pas nettoyer la cui­siné trop souvent. La réaction instinctive du parent ? Chacun la connaît : «On ne dérange jamais quelqu’un qui lit. Va jouer ailleurs. Laisse-moi un peu tranquille. Tu es agaçant. Va voir ton père…». Ou en­core : «Range le beurre et le pain quand tu as terminé. Tu ne crois pas que tu de­vrais nettoyer tout ça ? Les enfants bien élevés ne font pas ça. Tu fais exprès pour me faire fâcher… »

Or ce type de réponse est totalement inefficace. Il amène l’enfant à réagir avec hostilité, à se rebiffer, à résister à la volonté de l’adulte qui tente de changer son comportement. C’est qu’en fait l’adulte impose à l’enfant sa propre solution, sans lui laisser le choix. Il lui dit précisément comment il doit se comporter pour ne pas déranger le parent (impliquant d’ailleurs par là que les besoins de l’adulte passent avant ceux du jeune).

Il nous faut reconnaître que nous n’o­serions jamais agir de la sorte avec un adulte. Si une de mes amies marche dans ma cour sur une plate-bande contenant des bulbes de tulipes s’apprêtant à sor­tir de terre, je ne dirai pas : «Ôte-toi d’ici immédiatement, ou tu vas voir… ! Tu ne fais jamais attention où tu marches. Je vais t’apprendre à être aussi distraite, etc.». C’est que je fais suffisamment confiance à son intelligence et à sa sensi­bilité pour savoir qu’elle trouvera elle-même une solution (en changeant son comportement) dès que je l’aurai mise au courant de la contrariété qu’elle m’inflige en marchant par mégarde sur mes plan­tations.

Au contraire, à l’égard d’un enfant, les parents hésitent rarement à lancer des ordres intempestifs et des menaces, à sermonner et à faire honte. Il n’est que normal, dans ces circonstances, que l’enfant se sente traité injustement. «Les parents se plaignent du comportement égoïste de leurs enfants, mais comment les jeunes apprendraient-ils à être responsables si les adultes leur enlèvent continuellement toute chance de mani­fester spontanément leur respect des be­soins et des sentiments des adultes ?» écrit Thomas Gordon.

 

Le risque de la transparence

Il existe un moyen beaucoup plus effi­cace, explique-t-il, d’influencer les en­fants de telle sorte qu’ils modifient les comportements qui sont inacceptables pour les adultes. Il consiste à envoyer ce qu’il appelle des messages je. Nous n’y sommes certes pas habitués. La plu­part des phrases que nous adressons aux enfants sont, explique-t-il, des messa­ges tu. Exemple: «Tu dois ranger ta chambre. Si tu n’arrêtes pas ça tout de suite . . . Tu agis comme un bébé…»

Le message je est fort différent. Il consiste à décrire précisément et con­crètement en quoi le comportement de l’enfant gêne le parent et ce que ce der­nier éprouve réellement du fait de ce comportement : «Je suis très fatiguée quand je rentre de travailler et j’ai besoin de me reposer ; je ne peux pas jouer maintenant avec toi.» «Je suis découra­gée quand je vois que la cuisine que j’ai rangée tantôt, est à nouveau salie.»

Ce type de déclaration a plus de chance d’influencer l’enfant parce qu’elle se contente de décrire le pro­blème en laissant au jeune la responsabi­lité de trouver la solution adéquate. Elle montre à l’enfant que l’adulte lui fait as­sez confiance pour savoir qu’il respec­tera les besoins de ses parents, qu’il est capable de faire face lui-même à la situation et qu’il trouvera un moyen d’agir de façon responsable.

Envoyer des messages je plutôt que des critiques ou des sermons demande du courage : l’adulte doit être assez hon­nête pour analyser ses propres réactions et pour dire sincèrement ce qu’il ressent. Il prend le risque de la transparence face à son enfant. Mais en contrepartie, il devient plus humain. Parce que le mes­sage je est honnête, il porte générale­ment l’enfant à s’exprimer lui-même avec franchise lorsqu’il éprouve un sentiment ou une émotion. La relation parent enfant devient ainsi plus vraie. «Je ne savais pas que ça t’ennuyait tant. Pourquoi ne me l’as-tu pas dit avant ? Je ne voulais pas te déranger à ce point.» répond souvent l’enfant à qui l’on adresse un message je.

 

Ni gagnant, ni perdant

Là encore, la technique du message je ne règle pas miraculeusement tous les problèmes. Il se produit maintes cir­constances dans la vie quotidienne où le fait d’exprimer sincèrement et sans juge­ment de valeur la frustration que l’on res­sent face à tel ou tel acte de son enfant, ne fait pas automatiquement cesser le comportement contrariant. Il faut alors faire une résolution de conflit. Il s’agit là de l’une des méthodes les plus originales de Parents efficaces. Elle nécessite une parfaite maîtrise à la fois de l’écoute active et du message je. Gordon part de l’idée que les parents optent, en matière d’éducation, soit pour la méthode autoritaire (c’est le, parent qui gagne), soit pour l’attitude permissive (c’est l’enfant qui l’emporte). Certains, dit-il, ne choisissent jamais entre ces deux pôles, telle cette mère qui avouait : «Je suis permissive jusqu’à ce que je ne puisse plus supporter mes enfants. Je de­viens alors autoritaire jusqu’à ce que je ne puisse plus me supporter moi-même». L’autoritarisme, explique Gordon, est peut-être efficace avec de jeunes en­fants, mais il se révèle totalement impuis­sant lorsque les jeunes grandissent et commencent à défier leurs parents. Cette méthode d’éducation, parce qu’elle force constamment l’enfant à se plier à la vo­lonté des adultes, le prive de la possibilité de développer son sens de la discipline personnelle, de l’autonomie et du com­portement responsable.

La permissivité a elle aussi ses incon­vénients : les enfants élevés dans un cli­mat libertaire deviennent peut-être des individus créateurs, mais ils risquent éga­lement d’être égocentriques et irrespec­tueux de la liberté et des besoins des au­tres.

Il est même possible qu’ils ressentent une profonde insécurité face à l’amour que leur portent leurs parents : il est en ef­fet très difficile pour ces derniers de ma­nifester de l’affection et de l’acceptation à l’égard d’enfants qui sortent presque toujours vainqueurs des conflits familiaux aux dépens des adultes.

Ce que propose la forma­tion Parents efficaces, c’est une mé­thode de résolution des conflits où il n’existe ni gagnants ni perdants.

Lorsque les besoins de l’enfant et ceux du parent sont en contradiction, l’adulte demande au jeune de participer avec lui à une séance de travail : le parent et l’en­fant doivent imaginer une liste de solu­tions variées dont aucune ne doit être re­jetée ou critiquée à prime abord. Chacune de ces solutions est ensuite examinée hon­nêtement (utilisation du message je et de l’écoute active) jusqu’à ce que l’un et l’autre s’entendent sur le choix d’un rè­glement qui leur convienne mutuelle­ment. Ni l’adulte, ni l’enfant ne doivent tenter d’imposer leur propre solution. L’autorité ou la menace n’ont pas besoin d’être employées pour faire respecter l’entente étant donné qu’aucun des deux partenaires ne doit avoir de réticences face à son application.

L’emploi de cette méthode conduit à découvrir, pour un même problème, des solutions très différentes d’une famille à l’autre et parfois même fort originales. Voici l’exemple d’une mère ennuyée par le désordre qui règne dans la chambre de sa fille :

La mère: Je suis fatiguée d’avoir à te dire cons­tamment de ranger ta chambre et je suis sûre que tu en as assez d’être réprimandée à ce su­jet. Essayons de trouver une solution.

La fille: Je veux bien essayer, mais je sais comment ça va finir: tu vas m’obliger à ranger.

La mère: Non, je veux trouver une entente qui fasse autant ton affaire que la mienne.

La fille: J’ai une idée: tu détestes faire la cui­sine et tu adores nettoyer. Et moi je veux ap­prendre à faire la cuisine. Que dirais-tu si je préparais le repas deux soirs par semaine et que toi tu ranges ma chambre de temps en temps?

Comme la solution convenait à toutes deux, elle fut acceptée au grand soulage­ment de la mère et de la fille.

Qu’arrive-t-il lorsque l’enfant ne res­pecte pas son engagement? L’adulte doit exprimer clairement et honnêtement sa déception en utilisant le message je (sans blâme ni menace): «Je suis surpris (ou déçu, ou irrité) que tu n’aies pas fait… comme nous avions convenu.» La réponse du jeune permettra au parent de comprendre les raisons qui motivent son comportement (écoute ac­tive). Il peut être nécessaire de réouvrir la discussion pour mettre sur pied une meilleure solution.

Cette façon de régler les conflits per­met à l’enfant de développer son sens des responsabilités: il participe au choix d’une solution, il apprend à respecter les besoins de ses parents, il se sent impli­qué dans la réalisation de l’entente parce qu’il en a été l’un des promoteurs. Même si l’effort de consultation mutuelle de­mande qu’on lui consacre un certain temps, beaucoup d’heures sont ensuite gagnées qui étaient auparavant employées à gronder et à menacer.

 

Les droits des citoyens commencent à la maison

Il est cependant un certain nombre de domaines où les comportements de l’en­fant n’ont pas d’effet concret sur le bien-­être des parents: la longueur des che­veux, le mode d’habillement, le choix des amis, le genre de loisirs, etc. Sur ces questions, Thomas Gordon n’a pas de solution-miracle à proposer. Mais il offre, dans son ouvrage les principes d’une philosophie à la fois saine et stimulante:

«À chaque fois que les agissements de l’enfant ne viennent pas gêner de façon tangible la satisfaction de vos propres be­soins, dit-il aux parents, vous êtes en pré­sence d’un cas de collision de valeurs Tout ce que vous pouvez faire, c’est de vivre vous-même en fonction de vos idéaux sans chercher à forcer votre en­fant à s’y conformer. Il faut laisser aux jeunes la liberté de devenir ce qu’ils veu­lent être, en autant que leur comporte­ment n’interfère pas concrètement avec votre liberté de vivre vous-même selon vos valeurs.

L’un des principes fondamentaux de la formation Parents efficaces repose sur l’idée que les enfants, comme tous les êtres humains, ont des droits fondamentaux.

«Ces droits des citoyens, écrit Thomas Gordon, devraient commencer à la mai­son. Je sursaute souvent quand j’ob­serve au sein des familles que les enfants sont fréquemment l’objet de discrimina­tion et de ségrégation. Qu’on leur refuse le droit de parler, qu’on les prive de la li­berté de se vêtir comme ils veulent, de porter les cheveux dans leur style préféré ou qu’on leur nie le droit de choisir leurs propres amis. On s’attend également à ce que les enfants adoptent les valeurs des adultes sans avoir eu la liberté de les remettre en question. Les adultes traitent souvent les enfants comme notre société traite les Noirs et les autres groupes mi­noritaires.»