Objectifs
- Réaliser un thème d’Interaction par l’expression dramatique.
- Examiner les sentiments que nous n’exprimons pas directement à la personne concernée.
- Comprendre nos réserves dans l’expression de nos sentiments.
- Observer nos façons indirectes de communiquer nos sentiments.
Déroulement
- Des volontaires préparent, répètent la scène du balcon de Cyrano de Bergerac.
- Ils/elles la jouent devant le groupe, dans le texte intégral ou en l’improvisant.
Intégration
- Poser ces questions à tous les participants.
- Inviter d’abord les spectateurs à y répondre.
- Inviter ensuite les acteurs à y répondre.
« Quels sentiments Cyrano ne révèle pas directement à Roxane ? »
« Qu’est-ce qui le motive à agir ainsi ? »
« Quels sentiments Cyrano révèle-t-il indirectement à Roxane ? »
« Qu’éprouve et que récolte Cyrano à communiquer avec Roxane sous l’identité de Christian ? »
« Que récolte Cyrano en aidant Christian à conquérir Roxane ? »
« Quelle importance Roxane attache-t-elle aux paroles de ses prétendants ? »
« Quels ressemblances et différences y voyez-vous avec votre expérience personnelle ? »
Variante
Employer un personnage de film, de bande dessinée ou d’émission de télévision connu des participants.
Cyrano de Bergerac – Scène du balcon
Edmond Rostand
Au-dessus de la porte, fenêtre et balcon. Un banc devant le seuil.
Cyrano
Appelle-la !
Christian.
Roxane !
Cyrano, ramassant des cailloux qu’il jette dans les vitres.
Attends ! Quelques cailloux.
Roxane, entrouvrant sa fenêtre.
Qui donc m’appelle ?
Christian.
Moi.
Roxane.
Qui, moi ?
Christian.
Christian.
Roxane, avec dédain.
C’est vous ?
Christian.
Je voudrais vous parler.
Cyrano, sous le balcon, à Christian.
Bien. Bien. Presque à voix basse.
Roxane.
Non ! Vous parlez trop mal. Allez-vous-en !
Christian.
De grâce !…
Roxane.
Non ! Vous ne m’aimez plus !
Christian, à qui Cyrano souffle ses mots.
M’accuser, — justes dieux ! —
De n’aimer plus… quand… j’aime plus !
Roxane, qui allait refermer sa fenêtre, s’arrêtant.
Tiens, mais c’est mieux !
Christian, même jeu.
L’amour grandit bercé dans mon âme inquiète…
Que ce… cruel marmot prit pour… barcelonnette !
Roxane, s’avançant sur le balcon.
C’est mieux ! — Mais, puisqu’il est cruel, vous fûtes sot
De ne pas, cet amour, l’étouffer au berceau !
Christian, même jeu.
Aussi l’ai-je tenté, mais tentative nulle
Ce… nouveau-né, Madame, est un petit… Hercule.
Roxane.
C’est mieux !
Christian, même jeu.
De sorte qu’il… strangula comme rien…
Les deux serpents… Orgueil et… Doute.
Roxane, s’accoudant au balcon.
Ah ! c’est très bien.
— Mais pourquoi parlez-vous de façon peu hâtive ?
Auriez-vous donc la goutte à l’imaginative ?
Cyrano, tirant Christian sous le balcon et se glissant à sa place.
Chut ! Cela devient trop difficile !…
Roxane.
Aujourd’hui…
Vos mots sont hésitants. Pourquoi ?
Cyrano, parlant à mi-voix, comme Christian.
C’est qu’il fait nuit,
Dans cette ombre, à tâtons, ils cherchent votre oreille.
Roxane.
Les miens n’éprouvent pas difficulté pareille.
Cyrano.
Ils trouvent tout de suite ? oh ! cela va de soi,
Puisque c’est dans mon cœur, eux, que je les reçois ;
Or, moi, j’ai le cœur grand, vous, l’oreille petite.
D’ailleurs vos mots à vous descendent : ils vont plus vite,
Les miens montent, Madame : il leur faut plus de temps !
Roxane.
Mais ils montent bien mieux depuis quelques instants.
Cyrano.
De cette gymnastique, ils ont pris l’habitude !
Roxane.
Je vous parle en effet d’une vraie altitude !
Cyrano.
Certes, et vous me tueriez si de cette hauteur
Vous me laissiez tomber un mot dur sur le cœur !
Roxane, avec un mouvement.
Je descends !
Cyrano, vivement.
Non !
Roxane, lui montrant le banc qui est sous le balcon.
Grimpez sur le banc, alors, vite !
Cyrano, reculant avec effroi dans la nuit.
Non !
Roxane.
Comment… non ?
Cyrano, que l’émotion gagne de plus en plus.
Laissez un peu que l’on profite…
De cette occasion qui s’offre… de pouvoir
Se parler doucement, sans se voir.
Roxane.
Sans se voir ?
Cyrano.
Mais oui, c’est adorable. On se devine à peine.
Vous voyez la noirceur d’un long manteau qui traîne,
J’aperçois la blancheur d’une robe d’été :
Moi je ne suis qu’une ombre, et vous qu’une clarté !
Vous ignorez pour moi ce que sont ces minutes !
Si quelquefois je fus éloquent…
Roxane.
Vous le fûtes !
Cyrano.
Mon langage jamais jusqu’ici n’est sorti
De mon vrai cœur…
Roxane.
Pourquoi ?
Cyrano.
Parce que… jusqu’ici je parlais à travers…
Roxane.
Quoi ?
Cyrano.
…le vertige où tremble
Quiconque est sous vos yeux !… Mais ce soir, il me semble…
Que je vais vous parler pour la première fois !
Roxane.
C’est vrai que vous avez une toute autre voix.
Cyrano, se rapprochant avec fièvre.
Oui, tout autre, car dans la nuit qui me protège
J’ose être enfin moi-même, et j’ose…
(Il s’arrête et, avec égarement.)
Où en étais-je ?
Je ne sais… tout ceci, — pardonnez mon émoi, —
C’est si délicieux… c’est si nouveau pour moi !
Roxane.
Si nouveau ?
Cyrano, bouleversé, et essayant toujours de ratraper ses mots.
Si nouveau… mais oui… d’être sincère :
La peur d’être raillé, toujours au cœur me serre…
Roxane.
Raillé de quoi ?
Cyrano.
Mais de… d’un élan !… Oui, mon cœur
Toujours, de mon esprit s’habille, par pudeur :
Je pars pour décrocher l’étoile, et je m’arrête
Par peur du ridicule, à cueillir la fleurette !
Roxane.
La fleurette a du bon.
Cyrano.
Ce soir, dédaignons-la !
Roxane.
Vous ne m’aviez jamais parlé comme cela !
Cyrano.
Ah ! si, loin des carquois, des torches et des flèches,
On se sauvait un peu vers des choses… plus fraîches !
Au lieu de boire goutte à goutte, en un mignon
Dé à coudre d’or fin, l’eau fade du Lignon,
Si l’on tentait de voir comment l’âme s’abreuve
En buvant largement à même le grand fleuve !
Roxane.
Mais l’esprit ?…
Cyrano.
J’en ai fait pour vous faire rester
D’abord, mais maintenant ce serait insulter
Cette nuit, ces parfums, cette heure, la Nature,
Que de parler comme un billet doux de Voiture !
— Laissons, d’un seul regard de ses astres, le ciel
Nous désarmer de tout notre artificiel :
Je crains tant que parmi notre alchimie exquise
Le vrai du sentiment ne se volatilise,
Que l’âme ne se vide à ces passe-temps vains,
Et que le fin du fin ne soit la fin des fins !
Roxane.
Mais l’esprit ?…
Cyrano.
Je le hais, dans l’amour ! C’est un crime
Lorsqu’on aime de trop prolonger cette escrime !
Le moment vient d’ailleurs inévitablement,
— Et je plains ceux pour qui ne vient pas ce moment ! —
Où nous sentons qu’en nous une amour noble existe
Que chaque joli mot que nous disons rend triste !
Roxane.
Eh bien ! si ce moment est venu pour nous deux,
Quels mots me direz-vous ?
Cyrano.
Tous ceux, tous ceux, tous ceux
Qui me viendront, je vais vous les jeter, en touffe,
Sans les mettre en bouquets : je vous aime, j’étouffe,
Je t’aime, je suis fou, je n’en peux plus, c’est trop ;
Ton nom est dans mon cœur comme dans un grelot,
Et comme tout le temps, Roxane, je frissonne,
Tout le temps, le grelot s’agite, et le nom sonne !
De toi, je me souviens de tout, j’ai tout aimé :
Je sais que l’an dernier, un jour, le douze mai,
Pour sortir le matin tu changeas de coiffure !
J’ai tellement pris pour clarté ta chevelure
Que, comme lorsqu’on a trop fixé le soleil,
On voit sur toute chose ensuite un rond vermeil,
Sur tout, quand j’ai quitté les feux dont tu m’inondes,
Mon regard ébloui pose des taches blondes !
Roxane, d’une voix troublée.
Oui, c’est bien de l’amour…
Cyrano.
Certes, ce sentiment
Qui m’envahit, terrible et jaloux, c’est vraiment
De l’amour, il en a toute la fureur triste !
De l’amour, — et pourtant il n’est pas égoïste !
Ah ! que pour ton bonheur je donnerais le mien,
Quand même tu devrais n’en savoir jamais rien,
S’il ne pouvait, parfois, que de loin, j’entendisse
Rire un peu le bonheur né de mon sacrifice !
— Chaque regard de toi suscite une vertu
Nouvelle, une vaillance en moi ! Commences-tu
À comprendre, à présent ? voyons, te rends-tu compte ?
Sens-tu mon âme, un peu, dans cette ombre, qui monte ?…
Oh ! mais vraiment, ce soir, c’est trop beau, c’est trop doux !
Je vous dis tout cela, vous m’écoutez, moi, vous !
C’est trop ! Dans mon espoir même le moins modeste,
Je n’ai jamais espéré tant ! Il ne me reste
Qu’à mourir maintenant ! C’est à cause des mots
Que je dis qu’elle tremble entre les bleus rameaux !
Car vous tremblez, comme une feuille entre les feuilles !
Car tu trembles ! car j’ai senti, que tu le veuilles
Ou non, le tremblement adoré de ta main
Descendre tout le long des branches du jasmin !
(Il baise éperdument l’extrémité d’une branche pendante.)
Roxane.
Oui, je tremble, et je pleure, et je t’aime, et suis tienne !
Et tu m’as enivrée !
Cyrano.
Alors, que la mort vienne !
Cette ivresse, c’est moi, moi, qui l’ai su causer !
Je ne demande plus qu’une chose…
Christian, sous le balcon.
Un baiser !
Roxane, se rejetant en arrière.
Hein ?
Cyrano.
Oh !
Roxane.
Vous demandez ?
Cyrano.
Oui… je…
(À Christian bas.)
Tu vas trop vite.
Christian.
Puisqu’elle est si troublée, il faut que j’en profite !
Cyrano, à Roxane.
Oui, je… j’ai demandé, c’est vrai… mais justes cieux !
Je comprends que je fus bien trop audacieux.
Roxane, un peu déçue.
Vous n’insistez pas plus que cela ?
Cyrano.
Si ! j’insiste…
Sans insister !… Oui, oui ! votre pudeur s’attriste !
Eh bien ! mais, ce baiser… ne me l’accordez pas !
Christian, à Cyrano, le tirant par son manteau.
Pourquoi ?
Cyrano.
Tais-toi, Christian !
Roxane, se penchant.
Que dites-vous tout bas ?
Cyrano.
Mais d’être allé trop loin, moi-même je me gronde ;
Je me disais : tais-toi, Christian !…
(Les théorbes se mettent à jouer.)
Une seconde !…
On vient !
(Roxane referme la fenêtre.)
Christian.
Obtiens-moi ce baiser !…
Cyrano.
Non !
Christian.
Tôt ou tard…
Cyrano.
C’est vrai !
Il viendra, ce moment de vertige enivré
Où vos bouches iront l’une vers l’autre, à cause
De ta moustache blonde et de sa lèvre rose !
(À lui-même.)
J’aime mieux que ce soit à cause de…
(Bruit de volet qui se rouvrent, Christian se cache sous le balcon.)
Roxane, s’avançant sur le balcon.
C’est vous ?
Nous parlions de… de… d’un…
Cyrano.
Baiser. Le mot est doux !
Je ne vois pas pourquoi votre lèvre ne l’ose ;
S’il la brûle déjà, que sera-ce la chose ?
Ne vous en faites pas un épouvantement
N’avez-vous pas tantôt, presque insensiblement,
Quitté le badinage et glissé sans alarmes
Du sourire au soupir, et du soupir aux larmes !
Glissez encore un peu d’insensible façon :
Des larmes au baiser il n’y a qu’un frisson !
Roxane.
Taisez-vous !
Cyrano.
Un baiser, mais à tout prendre, qu’est-ce ?
Un serment fait d’un peu plus près, une promesse
Plus précise, un aveu qui veut se confirmer,
Un point rose qu’on met sur l’i du verbe aimer ;
C’est un secret qui prend la bouche pour oreille,
Un instant d’infini qui fait un bruit d’abeille,
Une communion ayant un goût de fleur,
Une façon d’un peu se respirer le cœur,
Et d’un peu se goûter, au bord des lèvres, l’âme !
Roxane.
Taisez-vous !
Cyrano.
Un baiser, c’est si noble, Madame,
Que la reine de France, au plus heureux des lords,
En a laissé prendre un, la reine même !
Roxane.
Alors !
Cyrano, s’exaltant.
J’eus comme Buckingham des souffrances muettes,
J’adore comme lui la reine que vous êtes,
Comme lui je suis triste et fidèle…
Roxane.
Et tu es beau comme lui !
Cyrano, à part, dégrisé.
C’est vrai, je suis beau, j’oubliais !
Roxane.
Eh bien ! montez cueillir cette fleur sans pareille…
Cyrano, poussant Christian vers le balcon.
Monte !
Roxane.
Ce goût de cœur…
Cyrano.
Monte !
Roxane.
Ce bruit d’abeille…
Cyrano.
Monte !
Christian, hésitant.
Mais il me semble à présent que c’est mal !
Roxane.
Cet instant d’infini !…
Cyrano, le poussant.
Monte donc, animal !
(Christian s’élance, et par le banc monte au balcon.)
Christian.
Ah ! Roxane !
(Il l’enlace et se penche sur ses lèvres.)
Cyrano.
Aïe ! au cœur, quel pincement bizarre !
— Baiser, festin d’amour dont je suis le Lazare !
Il me vient de cette ombre une miette de toi,-
Mais oui, je sens un peu mon cœur qui te reçoit,
Puisque sur cette lèvre où Roxane se leurre. Holà !
Roxane.
Qu’est-ce ?
Cyrano.
Moi. Je passai… Christian est encor là ?
Christian, très étonné.
Tiens, Cyrano !
Roxane.
Bonjour, cousin !
Cyrano.
Bonjour, cousine !
Roxane.
Je descends !
(Elle disparaît dans la maison. Au fond rentre le capucin.)
Christian, l’apercevant.
Oh ! encor !
(Il suit Roxane.)