Au cours de votre carrière vous vous êtes éloigné de ce que vous avez appris en psychiatrie traditionnelle. Qu’est-ce qui vous a amené vers de nouveaux chemins ?
Quand j’ai commencé à pratiquer la psychiatrie, j’ai remarqué que parmi les gens qui venaient me consulter, plusieurs d’entre eux étaient solitaires ; ils avaient besoin d’un ami. Je ne veux dire qu’un psychiatre est un ami pour la vie, mais, disons, un ami provisoire, quelqu’un qui leur permet de découvrir qu’ils peuvent établir un contact avec des gens d’une façon satisfaisante.
Le psychiatre traditionnel se doit de rester distant, de ne pas parler aux gens de façon à se lier d’amitié avec eux, car cela «nuirait au transfert» ! Et il doit leur parler beaucoup de leur père et de leur mère.
J’ai refusé ce système : je me suis dit : «Je dois être amical avec eux, je dois parler avec eux de ce qui se passe dans leur vie actuelle, ce qui est passé est fini. Cela peut les avoir affectés, évidemment, mais ils doivent tout de même faire face aux problèmes présents, aux stress qu’ils ont. Et mon travail consiste à les aider à y faire face plus efficacement.
C’était mon désaccord principal avec l’approche traditionnelle. Je pensais aussi que la compréhension ne suffisait pas à améliorer le comportement d’une personne. Je constatais que, même si elles avaient compris, la plupart des personnes ne parvenaient pas à faire des choix valables pour eux. Ils avaient besoin de faire un plan, ils avaient besoin de soutien, de discussion pour passer de la compréhension à des choix pratiques et réalistes.
Ainsi, vous vous rapprochez de vos patients et vous vous orientez davantage vers l’action.
J’étais orienté vers l’action et je le suis encore plus maintenant. Je travaille avec mes patients à résoudre leurs problèmes pour s’entendre avec les gens avec qui ils veulent s’entendre, et pas avec le monde entier ! Et pour ce faire, comme ils n’obtiennent pas maintenant ce qu’ils veulent, leur approche n’est probablement pas très efficace. Et la seule chose qu’ils peuvent contrôler reste leur propre comportement. Passer sa vie à espérer que son mari ou sa femme se comporte différemment, n’est pas très efficace ! Et puisqu’on ne peut pas amener son mari ou sa femme à se comporter différemment, la seule chose qu’on peut changer, c’est soi-même. Et je pense comme ça pendant 40 ans ! Ainsi, si on change la façon dont on traite son mari ou sa femme et en se basant sur ce qu’on sait que son mari et sa femme aime, il y a de fortes chances, pas une chance totale, mais une bonne chance que l’autre personne fasse l’effort de se comporter d’une façon que vous aimez. C’est une idée fondamentale en thérapie de réalité. C’est ainsi qu’on améliore les comportements des gens.
Votre approche semble fondée sur les compétences relationnelles. Pourquoi l’avez-vous appeleé la Thérapie de la réalité ?
Je ne sais pas trop, je n’ai jamais été sûr de cela. Mais cela a un rapport avec l’idée que la plupart de gens avec qui je traite, comme le patient de ce matin, parlent de la réalité. Et alors les gens ont le sentiment qu’ils ne font pas très bien face à la réalité. Et comme je les amène à faire face au monde réel et j’ai appelé mon approche la Thérapie de la réalité. Le monde peut ne pas être extraordinaire mais il est réel. Je suis très satisfait de cette appellation.
Avez-vous obtenu des résultast que vous n’obteniez pas avec des méthodes traditionnelles ?
Absolument ! Et j’ai obtenu ces résultats rapidement. Dans mes dernières années de résidence en psychiatrie, j’avais un groupe de patients, qui l’année précédente, avaient un autre psychiatre et l’année précédente encore un autre psychiatre. Durant cette année, tous mes patients ont obtenu leur congé assez rapidement et j’ai même vu d’autres patients à la fin de l’année. À la fin de l’année ils venaient tous en consultation externe à mon bureau propre, quand j’ai commencé ma pratique. Et mon expérience me confirme qu’on peut faire un bon travail avec une rencontre par semaine.
Ils ont des actions à entreprendre entre les rencontres ?
Maintenant je dirais que les gens lisent mon livre la Théorie du choix. On passe à l’action assez rapidement. La misère humaine la plus grande est psychologique : c’est le conflit entre ce qu’on veut faire et ce qu’on essaie de vous faire faire, ou ce qu’on menace de faire, par exemple menacer de quitter si on ne le fait pas. Il y a beaucoup de formes de collusion, et nous pouvons mettre fin à cette collusion mais les problèmes psychologiques ne diminuent pas. À moins que nous ne changions de théorie ça ne fonctionnera pas.
Vous travaillez avec de jeunes délinquants. Quels résultats visibles obtenez-vous?
J’ai appris beaucoup dans ce milieu. Mais je ne dirais pas que nous avons fait de la thérapie, puisque je suis le seul psychiatre pour 400 filles.
Vous ne faites pas de consultation individuelle?
Une fois, probablement pas plus d’une fois. Mais nous avions six autres conseillers qui rencontrent les filles. Mais nous avons créé un milieu thérapeutique. Les résultats sont les mêmes, après un certain travail éducatif individuel et communautaire. Nous avons des rencontres de groupes pour échanger et pour résoudre des problèmes. Nous amenons d’abord les délinquantes à découvrir leurs valeurs, développer leur identité, puis à réviser leurs comportements et finalement à employer des comportements plus efficaces et plus responsables pour obtenir une satisfaction véritable.