Depuis des décennies, vous diffusez l’approche du Leadership situationnel. A-t-il évolué au cours des années ?
Absolument. Nous améliorons constamment notre approche et notre matériel. Non seulement nos méthodes de formation ont évolué, mais nous avons aussi raffiné les concepts et la pratique. Auparavant nous mettions l’accent sur le leader. Et maintenant nous nous centrons davantage sur le collaborateur, sur son niveau de motivation et sur sa perception du style du leader. Je peux croire que je suis un leader positif, participatif et les membres de mon équipe peuvent penser que je suis contrôlant, arrêté dans ses opinions, tatillon !
La plupart des personnes nous disent qu’ils connaissent le leadership situationnel. Quels sont les principaux malentendus qui persistent chez les gens qui n’ont pas une formation approfondie ?
Parmi les malentendus les plus communs et les interprétations erronées il y a l’idée qu’une personne est à un niveau de maturité fixe. Les gens disent «Vincent est un N2». Vincent n’est pas un N2. Son niveau de maturité varie selon la tâche, ses compétences, sa motivation, les conditions de la situation.
Le deuxième malentendu est que les niveaux de maturité évoluent selon une progression naturelle, qu’il faut commencer par N1 et terminer par N4. On peut très bien commencer à N2, on peut sauter de N2 à N4, on peut passer de N4 à N1 selon la tâche. Notre approche est très flexible, très dynamique. En réalité notre approche a plus de sens car elle se fonde sur la façon d’être des gens.
La troisième opinion qui me vexe est quand on dit : «C’est simple. Je l’ai appris en deux heures dans un cours au collège !» Toute approche dont se sert un leader doit être assez simple pour nous éclairer rapidement et assez nuancé pour être approfondi par la pratique et la compréhension. Mais cette simplicité peut donner un faux sens de sécurité quand on comprend prématurément l’approche. Les nuances permettent de raffiner, d’approfondir sa compréhension. C’est vrai de n’importe quelle approche efficace.
Nous voyons des professeurs d’université qui présentent l’approche en vingt minutes. Je ne peux même pas clarifier les définitions de base dans une heure, encore moins présenter l’approche en entier. Les gens qui ont eu une initiation d’une ou deux heures et participent ensuite à notre formation nous disent que c’est beaucoup plus profond qu’ils pensaient.
Aujourd’hui nous diminuons le nombre d’échelons dans la hiérarchie. Avons-nous toujours besoin de leaders ?
Moins de personnes dans la gestion ne signifie pas moins de leaders. Si une organisation réussit sa rationalisation, elle garde les leaders les plus efficaces.
Dans les équipes autogérées vous recherchez des leaders aussi.
Absolument. Je n’ai jamais vu de véritable équipe sans leader. Le leadership consiste à influencer de façon constructive. Dans tout groupe fabrique un produit ou offre un service, j’ai vu des personnes qui influençaient leur équipe pour le mieux.
Et qui peut jouer un rôle de leader.
Pour faire accomplir quoi que ce soit en équipe, les membres doivent s’influencer de façon constructive.
Vous percevez plus le leadership du point de vue du collaborateur. Avez-vous des outils que vous utilisez du point de vue de l’équipe ?
Quand les membres de l’équipe sont engagés nous avons un leadership centré sur les collaborateurs. Nous aidons des leaders à mieux diagnostiquer les besoins de leurs collaborateurs. Et les collaborateurs développent leur sens des responsabilités à pas de géant. Pour réussir ces progrès les leaders doivent observer précisément les signes de leur maturité.
L’équipe a un niveau de maturité aussi ?
Absolument. Cela a été démontré. On a été formé à simuler. Pour ne pas passer pour incompétents, on se sent obligé de dire au patron que nous comprenons même si nous ne comprenons pas. Et on peut accepter un mandat même si on est déjà surchargé. Et on risque ensuite de craquer. Au lieu de confronter la question le patron et de dire «Je le ferai quand j’aurai terminé mes autres tâches.»
Et c’est pourquoi les niveaux inférieurs de leadership sont négligés ? Au niveau 1, l’ouvrier feint qu’il n’a pas tellement besoin de directives et le patron pense «Je ne suis pas un leader primitif qui donne des directives.»
Nous ne voulons certainement pas encourager les leaders à traiter les gens dans une approche limitative. L’important est de savoir quand fournir des objectifs et des procédés clairs, quand fournir des attentes spécifiques. Le leader craint souvent de paraitre trop contrôlant et reste ambiguë, vague, retiré, négligeant le besoin de clarté du collaborateur. Ainsi plutôt que de négliger cette responsabilité nous devons développer nos compétences pour les appliquer avec précision selon l’évolution du collaborateur.
Dans notre formation, nous avons un exercice où les participants, peu importe leur niveau hiérarchique, écrivent et discutent de «Quand je suis le collaborateur, le leader peut m’aider efficacement en…» J’oserais dire que 85 à 90 % des réponses sont : «Dis-moi ce que tu veux. Sois clair de tes attentes. Comment saurons-nous que nous avons réussi ?» Les gens veulent savoir à quoi s’en tenir avec leur leader.
Vous m’avez dit que vous n’utilisez plus le mot «maturité» et vous utilisez «disponibilité». Quelle est la principale distinction?
La plus grande distinction, c’est que le mot maturité a une connotation psychologique qui peut être défavorable. Si on est bas sur une échelle de maturité on est immature. La disponibilité est un terme éducatif qui signifie prêt à apprendre, à développer telle compétence.
Si quelqu’un n’est pas disponible pour tel travail, cela signifie que c’est au leader de l’amener à pouvoir accomplir ce travail. Le leader doit assumer cette responsabilité et développer la compétence correspondante.
Quelle rôle le Leadership situationnel peut-il jouer dans une entreprise apprenante ?
C’est constant. Une des idées fausses sur notre approche est que le but est de parvenir à N4, d’amener les gens à ce niveau. Ce n’est pas le but de notre approche. Personne ne peut arriver à N4 en tout dans le monde de travail. Aussitôt qu’on parvient à N4 dans un domaine, on découvre d’autres tâches ou on est à N2. Et c’est ce qu’on doit apprendre aujourd’hui. Ainsi on apprend à tous les jours. On élève sans cesse la barre pour le prochain saut !
Le leadership est un processus ou un voyage, pas une destination.
L’organisation apprenante fournit l’environnement, le soutien, l’encouragement et même l’inspiration, nécessaires pour assurer ce progrès. L’inspiration pour continuer de grandir, de s’améliorer.
Quelles sont les principales caractéristiques que vous voudriez que les gens retiennent du Leadership situationnel ?
D’abord se permettre d’être mené par le collaborateur, d’évaluer où le collaborateur se situe avant d’agir. Je poserai alors sans doute le geste approprié pour mes gens, la majorité du temps. Comme leader je rends service à mes collaborateurs si je les aborde à leur niveau réel de développement, comme les clients que je traite selon leurs besoins réels.
Y a-t-il un style plus difficile ?
Le style 4, déléguer, reste le plus difficile. D’abord parce qu’on pense que cela signifie de laisser ses collaborateurs faire ce qu’ils souhaitent. En fait, le leader doit continuer à leur donner l’appui approprié, une supervision détendue mais significative. Le style déléguer doit se gagner. On peut vraiment déléguer quand il a pris le temps de former ses collaborateurs, quand on a répondu à leurs questions, quand on les a soutenus quand ils avaient des difficultés et finalement ils peuvent alors prendre la pleine responsabilité de leur tâche.
Donc votre approche dit : Le collaborateur vous indique quoi faire !»
Exactement. Prêtez l’attention au collaborateur et vous ferez l’intervention appropriée.
Si votre tête échoue à vous donner une réponse claire, écoutez votre cœur. Si vous avez à cœur leur meilleur intérêt vous ferez probablement la bonne chose. Cesser de me préoccuper de moi et de ce que j’ai l’air, et écouter mon cœur m’amènera probablement à poser le geste juste, même si rationnellement je ne peux pas le calculer.
Et enfin tout leader a besoin des 4 styles. Ils ont tous leur utilité. On comprend et on aide autant un collaborateur en adoptant le style 1 que le style 4, selon la situation. Ce fut le moment le plus difficile comme leader. Une personne avait presque perdu confiance en ses capacités. Et pour la sortir de là, j’ai dû lui indiquer quoi faire. Elle l’a fait, a réussi et était fière d’elle-même. Un leader doit être prêt à rendre le service requis !
Le Leadership situationnel
Le Leadership situationnel est l’approche la plus largement utilisée dans le monde. Plus de 1 million de leaders sont formés chaque année. La plupart des plus grandes sociétés utilisent cette formation, qui se donne dans 120 pays.
Le Leadership situationnel combine judicieusement le comportement centré sur la tâche et le comportement centré sur la relation.
L’efficacité du leader consiste à adapter son comportement à la compétence et la motivation de son collaborateur dans chaque tâche. Plus que la flexibilité, c’est l’adaptabilité qui importe. La flexibilité est la capacité de changer de styles, l’adaptabilité est la capacité de changer de style selon la situation.
Ces principes restent les mêmes et s’appliquent dans le monde entier