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Plaidoyer pour une école heureuse

 

Article paru dans le magazine Intuitions, no 39

Le schéma éducatif fondé sur la raison a montré ses limites. Il existe une nouvelle approche de l’intelligence, l’intelligence émotionnelle. Conscience et confiance sont les premières étapes, d’un chemin qui mène au bonheur d’apprendre.

Alors que d’évidence les émotions sont le levain de l’intelligence, levain sans lequel le cerveau ne serait que ce qu’il est, c’est-à-dire une formidable machine à penser, mais incapable de fulgurances, il reste encore aujourd’hui trop d’incon­ditionnels du quotient intellectuel, d’exclusifs du tout rationnel. Des mystiques de la logique… C’est oublier que le cerveau est bicéphale, qu’il est le siège de deux royaumes distincts qui, loin d’être antinomiques, sont complémentaires : l’hémisphère gauche qui gère les fonctions analytiques, logiques, rationnelles et verbales, et l’hémisphère droit où prennent naissance les émotions, les sensations, les sentiments, l’imagination. Et si chacun de nous a ses préférences cérébrales, c’est à dire une prédisposition naturelle à solliciter spontanément tel ou tel hémisphère, il n’en reste pas moins que les grandes découvertes sont toujours le fruit de la complémentarité acceptée de ces deux hémisphères : ce qu’on nomme la globalisation, la mise en application simultanée de « l’hémisphère gauche qui parle et ne sait pas et de l’hémisphère droit qui sait et ne parle pas ». Oublier l’un au profit de l’autre c’est prétendre courir le 100 mètres olympique… à cloche-pied.

 

Quotient émotionnel et quotient intellectuel

L’école a souvent eu tendance à privilégier chez l’enfant la sollicitation de l’hémisphère gauche et donc à pénaliser es enfants qui fonctionnaient autrement, parfois considérés comme des perturbateurs, des empêcheurs d’enseig­ner en rond. Peut-être mal aimés parce que gênants, parfois négligés par impuissance, ces enfants traversent le programme scolaire en « touristes » malgré de formidables potentialités. Les dernières recherches scientifiques, comme l’explique Daniel Goleman dans L’intelligence émotionnelle, démontrent qu’il convient de tenir compte des émotions pour l’apprentissage de la vie. Ce n’est pas par hasard si fleurit actuellement une série de livres et de tests sur cette intelligence émo­tionnelle. Il est désormais patent que la croyance selon laquelle nous n’apprenons que par la pensée, par la réflexion, n’est qu’une illusion. Que fait-on d’un Einstein, dont le QI n’atteignait pas les 100, ce seuil d’intelligence en dessous duquel rien ne serait possible ? Un handicap qui ne l’a pourtant pas empêché de concevoir la théorie de la relativité en interprétant Bach, ce genre musical qui repose le cerveau et le met en état d’appétence émotionnelle. La suggesto-pédagogie de Lozanov utilise ainsi l’influence émotionnelle sur le comportement.

Car l’un des critères fondamentaux de la mémorisation, c’est bien l’émotion. Que l’émotion soit négative, le souvenir enregistré sera souffrance, alors l’enfant oubliera jusqu’aux faits eux-mêmes. Mais que l’émotion soit positive et alors la mémorisation sera totale. Une porte ouverte sur la mémoire consciente. Notre système éducatif ne devrait avoir d’autre objectif que d’apprendre à apprendre avant d’apprendre.

Et de se rappeler Montaigne qui pose que « Les enfants ne sont pas des vases que l’on remplit mais des feux que l’on allume », tandis que plus près de nous, Jacques-Yves Cousteau énonce : « Éblouir avant d’instruire ».

 

Les trois C

Pour répondre à cette préoccupation il existe des outils de développement émotionnel et social articulés autour de trois thèmes: Conscience, Confiance, Communication , les trois C.

Tenir compte des émotions soit, mais encore faut-il avoir appris à les recon­naître, à conserver en soi la capacité de rester en contact avec elles. N’en avoir plus peur. Cette sensibilité retrouvée permet à l’intelligence de s’aiguiser et développer des capacités nouvelles jusqu’alors insoupçonnées qui permet­tront à leur tour d’agir en confiance, en harmonie. Avec soi et les autres. Car c’est aussi en apprivoisant ses propres émotions qu’on percevra mieux celles de l’autre. Un atout considérable dans les relations humaines.

La jeunesse d’aujourd’hui est perturbée et perturbante. Cela peut s’expliquer en grande partie parle modèle éducatif qu’on lui propose et qui privilégie la logique et le rationnel, oubliant l’émotionnel, le vécu, le ressenti. Comment admettre une éducation aussi « décalée » alors qu’au même moment on reconnaît que l’intelligence se développe dès les premières heures de la vie, et bien plus tôt encore, dès la vie intra-utérine ? Pourra-t-on longtemps accepter que perdure un système exclusivement fondé sur le schéma punition-récompense dont on sait qu’il se traduit le plus sou­vent pour l’enfant par l’unique punition ? Chef de file de la psychologie moder­ne, Carl Rogers et d’autres psychologues humanistes nous ont fait comprendre que les sentiments, loin d’être une faiblesse, sont au contraire le moteur du bien-être individuel et collectif. Prendre conscience de soi, de ce qu’on pense, de ce qu’on dit, de ce qu’on fait, de ce qu’on ressent, c’est apprendre à mieux se connaître, à mieux s’accepter et, partant, à mieux connaître l’autre, le comprendre et l’accepter.

 

La conscience pour développer la confiance.

La prise de conscience n’est pas une fin en soi. Elle n’est qu’une étape dans le lent processus qui conduit à la confiance en soi. Ce ne sont pas les critiques, les moqueries, les railleries, les humiliations petites ou grandes, les commentaires négatifs qui favoriseront cette confiance en soi si indispensable pour affronter les défis que nous rencontrons tous, un jour ou l’autre, de l’enfance à l’âge adulte en passant par cette phase si déterminante qu’est l’adolescence, lieu de tous les doutes, de toutes les incertitudes, de toutes les interrogations sur son propre devenir. André de Perreti, rogérien de la première heure et ancien directeur du Centre de Recherche Pédagogique de Paris, ne disait-il pas aux maîtres : «Si vos élèves vous quittent en ayant confiance en eux, vous leur aurez donné l’essentiel.»

Comment alors faire naître cette confiance ? D’abord nous demandons aux enfants de revivre une expérience réussie. Car tous les enfants, quel que soit leur âge ou leur condition sociale, ont vécu des réussites dans les domaines les plus divers, parfois même les plus inattendus. C’est donc en les remettant en contact avec le sentiment de satisfaction et de légitime fierté qu’ils ont ressenti à cette occasion qu’on leur fait toucher du doigt leur aptitude à réussir. Et c’est seulement une fois qu’ils auront pris de l’assurance en eux, en leur envi­ronnement, en l’adulte qui chemine à côté d’eux, que peut venir l’heure d’assumer la déception d’un échec. Alors plus librement, plus ouvertement aussi, ils accepteront d’être confrontés avec un sentiment désagréable, et de rechercher en eux la cause réelle de l’échec, manque d’attention, désintérêt, manque de compétences, paresse… Le travail de l’enseignant, de l’éducateur sera considérablement facilité s’il prend l’habitude, non pas de valoriser mais de reconnaître le moindre effort. Encourager plutôt que complimenter.

 

Bas les masques !

Mais cette étape ne mènera nulle part si elle s’accompagne de l’ignorance du besoin émotionnel de l’autre. Comment admettre qu’aujourd’hui encore on enseigne aux maîtres, à ceux dont la mission sacrée consiste à accompagner ces hommes en devenir, à marcher masqués : «Vous n’avez pas à vous révéler ; gardez vos distances ; vous n’avez pas à savoir la vie de vos élèves lesquels n’ont rien à savoir de vous.» J’ai entendu ces mots adressés à des enseignants de quartiers défavorisés. Nous pouvons comprendre la peur (la première des émotions) qui motive cette attitude. Ne vaudrait-il pas mieux apprendre à apprivoiser ce sentiment de peur, plutôt que de considérer, dès le départ, l’enfant de certains milieux défavorisés comme l’ennemi public numéro 1. Quelle impudence, quel manque de discernement !

Ce n’est pas en érigeant des barrières, ces protections factices, qu’on déve­loppera chez l’enfant l’indispensable besoin d’être. Car la troisième étape c’est celle de la communication. Celle qui permet de mieux vivre ensemble en gommant les critiques et les juge­ments. C’est exprimer ses émotions avec l’écoute acceptée de celles de l’autre. Et Carl Rogers de citer l’un ses patients : «Ce que je recherche, c’est quelqu’un qui me comprenne.» Il faut apprendre l’écoute empathique, celle qui permet de se brancher sur l’état émotionnel de l’autre en gardant éveillé le sien propre.

 

Vers le bonheur d’apprendre.

Après avoir exploré les premiers trois piliers de l’équilibre : Conscience, Confiance et Communication, reste à s’entraîner à la résolution des Conflits.

Les désaccords, les mésententes, les conflits sont et resteront inhérents à toute relation humaine. Il ne sert à rien de le nier, bien au contraire. Rien ne sert de culpabiliser non plus. C’est la gestion de ces conflits, de ces dysfonc­tionnements de communication qui doit s’apprendre. Nous découvrirons même que les conflits sont souvent bénéfiques. Une fois acquises l’atten­tion à soi, la confiance en soi et la confiance des autres par le partage des expériences vécues et la mise en commun des expériences positives, la gestion du conflit devient plus facile. En y consacrant deux heures par semaine, on constate que les résultats d’une telle méthode sont surprenants d’efficacité : une scolarité plus harmonieuse, des noeuds qui se dénouent, un pédagogue écoutant et écouté qui peut alors dispenser son enseignement dans un climat d’attention réciproque. Développer son intelligence émotionnelle permet d’accroître sa capacité à apprendre, à réussir, et pourquoi pas, à être heureux !