enseignants

L’émotionnel a-t-il sa place à l’école ?

 

 

Article paru dans Perspectives, no 2

 

Le développement de l’enfant

Dans les ouvrages de psychologie de l’enfant, il est usuel de voir celui-ci sous l’angle de son développement cognitif et émotionnel. Dans le même souci de considérer l’enfant dans ces deux aspects de son développement, les départements de l’instruction publique des cantons romands ont formulé des finalités qui tiennent compte de ces deux facteurs.

Afin de développer le cognitif à l’école, l’enseignant reçoit une quantité d’ouvrages de méthodologie qui cons­tituent une aide précieuse à la pour­suite des objectifs de chaque discipline. Il serait intéressant de connaître les moyens dont dispose chaque ensei­gnant pour aider l’enfant dans son développement émotionnel. Au cours de plusieurs centaines d’heures passées comme observateur dans des classes de tous degrés, animées par des stagiai­res en formation, nous avons pu voir combien la prise en compte de l’émotionnel est difficile et apparaît au hasard des cir­constances et au gré de la personnalité des enseignants.

Or les enfants sont avant tout des êtres émotionnels et, à l’école, ils peuvent se sentir seuls et effrayés face à leurs expé­riences intérieures. Cette peur – du rejet, du ridicule, de l’échec – monte et descend comme la marée. En tant que parents également, nous avons été frappés de constater chez nos enfants la place prise par des préoccupations d’ordre émotionnel durant la scolarité. Tou­tes les questions d’être ou ne pas être aimé dans le groupe, d’être populaire ou impopulaire, de se faire des amis ou de les perdre, sont, pour des enfants d’une dizaine d’années, des questions sensibles et primordiales venant sup­planter les intérêts scolaires au sens strict. Les enfants sont bien reconnais­sants à l’adulte qui fait le premier pas et rend possible l’expression de leurs préoccupations, leur permet de les par­tager et de les légitimer.

Force est de constater que, si l’école prépare bien l’enfant à affronter des situations cognitives, elle ne le prépare pas aussi systématiquement à faire face aux situations affectives de l’existence.

Cette situation nous a amenés, en tant que formateurs de maîtres, à nous poser tes questions suivantes :

Comment le maître pourrait-il prépa­rer les élèves à faire face à leurs expé­riences affectives ?

Comment le maître pourrait-il être formé à cette tâche ?

Quelles incidences sur l’aménagement du temps scolaire aurait un programme de développement émotionnel ?

Diverses circonstances nous ont amenés à découvrir un programme de, développement qui allait dans le sens de nos interrogations.

 

Le cercle de paroles PRODAS

Le cercle de paroles PRODAS a été construit à partir d’ob­servations cliniques et à l’aide de théories psychologiques éprouvées. Il s’articule autour de trois facteurs qui représentent trois aspects sous lesquels tout être humain peut être observé. Conscience, réalisation et interaction sociale sont ces trois points de vue dif­férents d’une même réalité, la personne humaine :

  1. Le gros plan s’inspire de la théorie psychanalytique et tend à pénétrer, pour ainsi dire, à l’intérieur de l’indi­vidu. Cet aspect se retrouve dans la dimension de conscience.
  2. Le plan moyen reflète la perspective comportementale, le béhaviorisme. Il s’agit de prendre du recul et de s’attacher en particulier aux divers comportements observables. Les actions visibles sont prises en comp­te par le facteur de réalisation.
  3. Enfin, en vue panoramique, on observe l’individu en tant que membre d’une collectivité, membre qui se définit au travers de ses relations impersonnelles. On retrouve cet aspect dans les différents courants de la psychologie humaniste et cette vision particulière est reprise par le facteur d’interaction sociale.

Ces trois facteurs sont comme trois mises au point optiques, différentes, et qui donnent trois images d’une même réalité, d’un même fait irréductible, la personne humaine.

 

Se connaître

Être conscient, c’est connaître ce que l’on voit, entend, pense, dit et fait, c’est être capable de l’exprimer avec clarté et précision. Mais il est tout aussi important de prendre conscience de ce que l’on ressent à l’intérieur de soi et d’arriver à le communiquer. Dans Le cercle de paroles PRODAS, les événements dont nous allons éveiller la conscience sont regroupés en trois catégories : les comporte­ments, les pensées et les sentiments. L’enfant en fait l’expérience de deux manières : externe, s’ils se produisent au-dehors de lui, interne si cela se passe en lui. De plus, l’enfant sera amené à déterminer ce que représente cette expérience pour lui, de la qualifier en terme d’agréable ou de désagréable. Le cercle de paroles PRODAS évite soigneusement toute con­notation morale en terme de «bon» ou «mauvais».

L’enfant apprend à prendre cons­cience des divers types d’expériences et développe sa capacité d’expression. Ce qui compte le plus pour lui, c’est de partager sa vision des comportements, sa perception des pensées et des senti­ments. Cet échange permet des com­paraisons riches et nombreuses et donne à l’enfant la possibilité de quitter «l’illusion d’unicité» et de comprendre les similitudes entre êtres humains ainsi que les différences individuelles.

Tout cela est un apprentissage long et progressif, apprentissage fait au rythme de l’enfant et dans un climat d’acceptation et de non-jugement

 

Objectifs généraux

À l’aide des activités du facteur de conscience, les enfants seront amenés à :

– développer un langage clair pour décrire leur expérience ;

– différencier les sentiments de la pensée ;

– différencier les pensées des com­portements ;

– développer leur capacité d’écoute ;

– accepter des expériences positives et des expériences négatives ;

– différencier la réalité de l’imaginaire ;

– prendre conscience que certaines expériences sont à la fois agréables et désagréables (ambivalence).

Quelques exemples d’activités

«Un objet que j’aime bien.»

«Je me rappelle une pensée agréable»

«Quand j’ai peur, je ressens dans mon corps…»

«Je me sens bien (mal) quand je…»

«J’ai une idée fantastique»

«Les choses réelles et imaginaires».

 

Se réaliser

Cette notion, telle qu’elle est abor­dée dans Le cercle de paroles PRODAS, se développe autour de deux aspects : la confiance en soi et la compétence responsable :

Acquérir des connaissances, être capable de réussir quelque chose ne suffit pas à développer la confiance en soi. II est nécessaire de développer un équilibre émotif qui lui fournit à l’individu ce sentiment d’être capable de faire face à un obstacle raisonnable. Cette confiance en soi entraîne l’enfant à entreprendre, sachant qu’il peut réus­sir, qu’il en a les moyens. II ne craint plus l’obstacle placé devant lui.

La compétence responsable est l’apprentissage des effets possibles de nos actions et une recherche de cohé­rence interne visant à éviter de faire aux autres ce que nous ne voudrions pas que l’on nous fasse. Une personne ne peut s’estimer pour un comportement qu’elle condamne chez autrui. C’est l’occasion de réaliser que nous som­mes responsables de ce que nous faisons.

Ce facteur de réalisation permet de développer une image de soi positive et constructive. Nous connaissons tous des enfants qui possèdent de grandes capacités mais hélas qui n’y croient pas. Le cercle de paroles PRODAS se propose d’aider chacun à reconnaître ses compétences, de dimi­nuer la croyance d’infériorité et d’apprendre à construire son image de soi sur ce qu’il fait et non sur ce qu’il ima­gine que les autres pensent de lui.

Cette estime de soi, cette confiance en soi et la perception de sa propre compétence ne se développent pas au hasard. Le cercle de paroles PRODAS et son aspect de réalisation se basent sur trois composantes principales : l’implication personnelle, la réussite et l’appréciation des adultes :

– l’implication personnelle : les thè­mes abordés présentent pour l’en­fant une «utilité» immédiate, tant personnelle que sociale. Le cercle de paroles PRODAS propose des activités qui représen­tent pour l’enfant une compéten­ce supplémentaire : apprendre à demander de l’attention, apprendre à refuser (dire non), etc. Cet intérêt concret et direct conduit à une implication réelle et affective ;

la réussite : la réussite engendre la confiance, et celle-ci d’autres réussi­tes. Le cercle de paroles PRODAS exige que l’on adapte le niveau de difficultés des exercices de sorte que ce ne soit pas trop facile et également que chacun puisse réussir. Nous avons pu obser­ver que, lorsqu’un entant réussit, il tend à aimer ce qu’il fait et a envie de poursuivre l’effort d’apprentissage. La principale affaire dans la vie affec­tive d’un enfant, c’est d’être capable de se prouver, ainsi qu’aux autres, qu’il est compétent. C’est une belle victoire, et victoire sans perdant de plus ;

– l’appréciation des adultes : l’in­fluence positive de la reconnais­sance immédiate n’est plus à démontrer. Elle joue un rôle central dans tout processus éducatif. A l’occasion des activités du groupe, l’animateur met l’accent sur l’appré­ciation positive, sur la reconnais­sance des capacités de l’enfant.

 

Objectifs généraux

Lors des activités de réalisation, les enfants auront l’occasion de :

– décrire leurs réussites, leurs pou­voirs ;

– décrire leur propre manière de ré­soudre une difficulté ;

– parler de leur autonomie ;

– se comporter selon leurs propres valeurs ;

– identifier leurs compétences ;

– recevoir et donner des apprécia­tions positives.

Quelques exemples d’activités

«Ce que j’aime (je sais, je veux…) faire»

«C’était difficile et j’ai réussi»

«Si je pouvais, je…»

«Je sais le faire tout seul»

«Les trois choses les plus difficiles à l’école»

«J’ai eu de la difficulté à choisir entre deux choses»

«Quelqu’un m’a fait confiance».

 

Entretenir des relations

Les personnes ont besoin les unes des autres pour une multitude de taches quotidiennes. Les quatre besoins ont un rôle prépondérant dans la collabora­tion humaine : nourriture, construction, protection, éducation. Hélas, les be­soins émotionnels ont été longtemps et sont encore mis en veilleuse.

L’un des besoins les plus essentiels est le besoin d’attention : si les nourris­sons n’en reçoivent pas, ils dépérissent. Si les adultes en manquent, ils devien­nent psychotiques. Et si les enfants n’en obtiennent pas en dose considérable, ils deviennent renfrognés et perturbateurs !

II en est de même pour l’acceptation. L’application de Le cercle de paroles PRODAS est un mo­ment privilégié d’acceptation, d’écoute sans jugement, sans évaluation norma­tive. Cette écoute est renforcée par l’appréciation, par une approbation positive et chaleureuse qui contribue à se sentir appartenir à un groupe.

Si l’animateur apprécie les contribu­tions des élèves, s’il relève les compor­tements des participants, les échanges ne peuvent que devenir plus riches et plus nombreux.

Attention, acceptation et apprécia­tion sont des besoins émotionnels nécessai­res au développement de l’enfant

Nombre d’enfants ne savent pas comment obtenir ces marques de reconnaissance. Et c’est tragique. Leurs besoins en deviennent si grands qu’ils vont faire pratiquement n’importe quoi pour obtenir des marques d’attention, même si cela conduit à des effets contraires de rejet et de désappro­bation.

En termes de communication :

– l’attention signifie Je sais que tu es ici,

– l’acceptation équivaut à Tu as le droit d’être ici, tu y as ta place,

– l’appréciation Je partage avec toi des sentiments agréables pour ce que tu fais et ce que tu es.

Ces prises de position conduisent immanquablement à l’affection qui signifie Je t’aime bien. Cette affection, nous la ressentons pour l’enfant dans son entier, et ce sentiment le conduit à réaliser son unicité et son irréducti­bilité.

 

Objectifs généraux

Ces activités d’interaction sociale permettent à l’enfant de :

– savoir que l’on réagit émotionnellement aux comportements d’autrui ;

– comprendre que son propre comportement peut susciter des sentiments ;

– accepter la responsabilité des effets de son comportement ;

– modifier son comportement afin d’en gommer les effets négatifs ;

– accepter les émotions chez soi et chez les autres ;

– apprendre à développer de bonnes relations humaines.

Quelques exemples d’activités

«J’ai dit quelque chose qui a fait que…»

«J’ai fait une promesse et je l’ai tenue»

«Je n’ai pas joué avec quelqu’un qui le voulait»

«Ce que je fais pour un ami»

«Quelqu’un qui me fait confiance».

 

Comment aborder ces thèmes et en atteindre les objectifs ?

La pièce maîtresse de Le cercle de paroles PRODAS est l’animation des réunions de cercle de paroles PRODAS, cercle de paroles PRODAS que les enfants qualifient eux-­mêmes de «magique». Ces réunions sont des moments privilégiés de communication, organisés pour une douzaine d’enfants qui y viennent en personne, sans papier ni crayon et qui s’y placent en cercle de paroles PRODAS de manière que tout le monde puisse entrer en contact avec chaque autre membre du groupe.

Le cercle de paroles PRODAS magique est l’échange de tout ce qui constitue l’expérience des enfants : sentiments, pensées, peurs, désirs. rêves et joies.

La majeure partie de ces informa­tions est transmise verbalement, et cela représente un acquis fort intéressant pour des enfants car, en comparaison, nombre d’adultes ne savent pas encore comment parler de leurs émotions. Mais les enfants, lors des échanges, se voient les uns les autres. Ils apprennent ainsi à porter attention à des indices non ver­baux qui confirment ou infirment les propos tenus.

Le «cercle de paroles PRODAS magique» est le lieu où les enfants parlent de leur vécu, non pas de manière débridée, mais autour d’un thème que l’animateur choisit et pré­sente. Mais ce n’est pas une leçon ! Les propos des enfants n’y sont pas corrigés, ni jugés et les enfants apprennent ce qu’ils veulent bien apprendre.

Le fonctionnement du cercle de paroles PRODAS est régi par des règles simples dont les enfants se souviennent et surtout qu’ils réussis­sent à appliquer rapidement. Ce sont :

  • tout le monde peut s’exprimer ;
  • chacun décide de participer active­ment ou non ;
  • lorsqu’un enfant s’exprime, ses cama­rades l’écoutent ;
  • on n’interrompt pas un camarade ;
  • on ne juge pas.

 

Appliquer Le cercle de paroles PRODAS avec des enfants

La théorie est séduisante. La métho­dologie est claire, le matériel didacti­que très abondant et nombre d’expé­riences sont relatées par les auteurs. L’envie de procéder à une tentative avec des enfants de 7 ans nous a tenaillés. Nous avons organisé un essai sur une courte durée et avons animé six séances de cercle de paroles PRODAS d’une vingtaine de minutes. En plus de notre curiosité et de notre envie personnelles, les objec­tifs de cette animation étaient de per­cevoir l’attitude des enfants face aux règles, de développer la capacité d’écoute, de vérifier le degré d’impli­cation personnelle.

Les règles furent présentées au tra­vers de l’histoire d’une princesse que personne n’écoutait. Sa bonne fée vient à son aide en créant le «cercle de paroles PRODAS magique», cercle de paroles PRODAS au sein duquel cha­cun peut s’exprimer sans être ni inter­rompu, ni jugé.

Thèmes choisis pour les cercle de paroles PRODASs :

«Je me sens bien quand je…»

«Un coin que j’aime»

«J’ai une pensée agréable»

«Ce que j’aime chez mon animal pré­féré»

«Ce que j’aime à l’école»

«Ce que j’aime chez un ami».

Tous ces thèmes sont issus des thè­mes proposés par la méthodologie et sont relatifs aux facteurs de conscience. Il aurait été périlleux d’aborder trop rapidement les autres facteurs.

L’animation a permis de constater que :

  1. Les prises de parole des enfants se sont réalisées en deux temps :

– un survol du thème, très des­criptif ;

– une expression personnelle des sentiments, du vécu intérieur. Une relance appropriée permet d’approfondir le thème.

  1. Les règles ont été rapidement assi­milées, et un seul rappel de l’histoire en début d’animation suffisait à les faire convenablement respecter. Un regard, un contact léger contribuaient à stimuler l’entant qui avait tendance à les oublier.
  2. La qualité d’écoute nous a surpris. Certains enfants, pas tous évidem­ment, arrivaient à reformuler l’es­sentiel du message d’un camarade. Ils prenaient plaisir à écouter l’un des leurs.
  3. L’implication personnelle est difficile à évaluer en si peu de temps. Bien souvent, l’illustration de l’ani­mateur ou le premier récit d’un entant induisait les autres récits. En tous les cas, cela donnait le ton des expériences relatées. Après six séan­ces, nous ne pouvons qu’affirmer que l’apprentissage du «je» et de la communication d’un message per­sonnel est peu aisé dans le cadre de la classe. Il est certain que pour obtenir des résultats plus probants, la fréquence de ces échanges doit être augmentée. Il ne nous a pas été possible de le réaliser avec des enfants. Mais nous espérons vive­ment participer et assister à un tra­vail de longue haleine.

 

Application de Le cercle de paroles PRODAS avec des adolescents et des adultes

À l’école normale de Burier, un groupe de huit étudiants avait choisi l’option de développement personnel qui leur était proposée dans le cadre de leur formation. L’application de Le cercle de paroles PRODAS, avec des thèmes adaptés aux adultes, nous a permis de constater les faits sui­vants :

– parler de soi, de ses sentiments, de ses compétences, n’est pas chose aisée chez l’adulte ;

– le partage en groupe sur un thème donné procure à chacun un élargis­sement sensible de sa propre expé­rience.

 

Conclusion

L’animation de ces groupes nous a fait réaliser la nécessité d’une formation aux relations humaines pour l’ensei­gnant qui désire prendre en compte la dimension émotionnelle en classe. Vivre soi­-même la démarche, explorer person­nellement les trois dimensions de cons­cience, réalisation et interaction sociale sont indispensables à la mise en pratique du Cercle de paroles PRODAS avec les élèves.

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