thérapie solo

Recentrer la psychologie

 

Une voisine qui me connaissait depuis peu me demanda dans quel domaine je faisais un doctorat. Je lui répondis «en psychologie». Aussitôt elle manifesta une crainte : «Je devrai alors faire attention à ce que je dis, car alors je me ferai cataloguer.» Amateur de thérapie provocatrice, je répondis : «C’est déjà trop tard!»

Cet exemple illustre comment les gens craignent les psychologues, évitent de les consulter alors qu’ils pourraient en bénéficier parce qu’ils craignent d’être diagnostiqué d’un trouble de personnalité. Bien sûr, s’ils avaient une expérience directe de la consultation, ils auraient une toute autre perception. C’est aux psychologues de modifier cette perception.

 

Distinguer psychiatrie et psychologie

Le psychiatre est un médecin qui a pour tâche de diagnostiquer et de traiter les différentes maladies mentales. Il évalue si une personne est plutôt mythomane, paranoïaque, schizophrène, obsessive-compulsive, etc. Cela sert de base au traitement qu’il applique.

Le psychologue est un professionnel qui a pour tâche d’identifier et de développer les différentes compétences, habiletés, aptitudes des personnes avec qui il travaille.

Autant l’un a comme domaine la maladie mentale autant l’autre a comme champ d’expertise la santé mentale sous toutes ses formes. L’intervention du psychologue ne se limite pas à recevoir en consultation une personne qui ne se sent pas bien, mais s’étend à l’éducation, la gestion, la planification, l’aménagement, l’intervention variée tant pas sa forme que par les participants auxquels elle s’adresse.

 

Laisser la psychiatrie au psychiatre

Le psychologue est parfois tenté d’employer des termes et des approches spécifiques à la psychiatrie; ça donne un prestige accru à son action. Parfois les clients même vont réclamer un diagnostic, une évaluation, une catégorisation : «Dites-moi, suis-je normal?» Lui répondre avec des termes de pathologie semble donner une valeur accrue à l’intervention. Suite à la popularisation de certains ouvrages psychanalytiques, le public, avec des décennies de retard sur l’évolution de la psychologie, aime se gargariser de termes techniques.

Or, pour faire un tel diagnostic on a besoin de plusieurs conditions : d’abord avoir devant soi une personne souffrant de maladie mentale, ensuite avoir étudié suffisamment longtemps pour faire une évaluation objective qui se distingue de notre perception subjective, ensuite avoir une période d’observation assez longue, des outils de mesure fiables, des critères objectifs, etc. Ces conditions sont rarement réunies ailleurs que dans un hôpital psychiatrique!

 

Les «psys»

Plusieurs formations universitaires qui incluent une année d’étude en psychologie donnent à ces étudiants l’impression qu’ils peuvent établir des diagnostics en pathologie mentale. Ces diplômés se donnent un aura de crédibilité en employant ce vocabulaire et en fondant leur intervention sur des catégories psychopathologiques. Un travailleur est vite catégorisé de «bipolaire», un contremaitre de «narcissique», un élève de «hyperactif avec déficit d’attention», un président de conseil d’administration de «obsessif-compulsif», etc.

Et pour comble, plusieurs formations populaires, offertes par exemple à des gens en milieu de travail, initient les participants aux types de personnalité difficiles. Ils apprennent en une ou deux journées à déterminer si leur collègue est plutôt un obsessif, un sadique ou un parano et comment le «traiter».

 

Le DSM, un exemple révélateur

Le DSM, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, publié par la Société américaine de psychiatrie, classifie et catégorise les pathologies. Il est destiné aux psychiatres, qui ont fait 7 ans d’études pour se familiariser avec ces troubles profonds. Il est utilisé par plusieurs psychologues, qui ont fait 4 ans d’études, non destinées aux troubles graves de la personnalité et aussi par des psychosociologues, psychoéducateurs et autres «psy» ayant fait environ 1 an d’études en psychologie.

Cette «bible des psychiatres», fondée sur des observations subjectives rassemblées, pathologise les comportements humains de manière excessive.

 

Occuper le champ d’action de la psychologie

Les grands psychologues de la deuxième partie du vingtième siècle ont fait évoluer la psychologie en la distinguant de la psychanalyse et de la psychiatrie. Ils ont créé de nouveaux paradigmes : l’efficacité du psychologue repose d’abord sur la qualité de la relation qu’il établit avec la personne, chacun possède un potentiel qu’il peut développer quand on le met dans des conditions favorables, on peut cultiver de nombreuses aptitudes à tous les âges en adaptant notre approche aux caractéristiques de la personne, etc.

Le psychologue a un champ d’action spécifique : il contribue au développement des compétences humaines de toutes les personnes, du berceau où il sait cultiver l’attachement et la sécurité affective, jusqu’au vieil âge où il sait accompagner les personnes qui cherchent un sens ultime à leur vie, en passant par l’école où il s’avère très utile pour cultiver la motivation à apprendre, la transition à l’adolescence, sans oublier les milieux de travail où il dispose d’approches efficaces pour apprendre de nouvelles techniques, s’intégrer à un groupe, participer au travail d’équipe, instaurer une gestion qui suscite l’adhésion et la participation. En identifiant et en affichant clairement son domaine comme celui du développement de la personne et des organisations, le psychologue verra sa mission mieux comprise de Monsieur et Madame Tout-le-monde.

Et si une personne consulte un psychologue, elle saura qu’elle y trouvera un accompagnement et une aide pour prendre une décision éclairée, réussir une transition dans une nouvelle étape de sa vie, réviser ses valeurs et ses méthodes d’éducation de ses enfants ou de ses élèves, faire le point sur sa carrière et s’orienter judicieusement pour la prochaine décennie, mettre au point de nouvelles stratégies à appliquer avec ses collègues et ses associés, aborder ses clients avec une approche productive et conviviale, etc.

 

Réviser la formation du psychologue

Définie comme la science et l’art de contribuer au développement humain, la psychologie doit fonder la formation sur l’identification et la culture des personnes.

Bien sûr les cours psychologie de l’enfant, de l’adolescent, de l’adulte, des ainés, des couples, des équipes, des groupes et des sociétés restent indispensables.

Les cours pratiques, centrés sur les différents modes d’intervention du psychologue professionnel, consultation individuelle, conjugale, familiale, animation d’équipe, de groupe, d’organisation, recherche, formation, médiation, planification, etc. fournissent des outils pour agir à partir des connaissances.

Dans ce cadre, utiliser des typologies pour déterminer si tel membre de l’équipe réussit mieux dans un rôle d’organisateur, de planificateur, d’expert technique, de modérateur, de clarificateur ou de producteur est à la fois utile au psychologue et aux personnes avec lesquelles il travaille.

Mais le temps consacré à étudier, évaluer, diagnostiquer les différentes déviations de l’esprit humain serait mieux investi à mieux comprendre les diverses capacités de la personne humaine et à maitriser des outils pour en favoriser le développement.

 

Perspective

Certaines facultés de psychologie ont redéfini leur programme d’études en se fondant sur la vision du psychologue comme un intervenant du développement de la personne et de la société. Leurs étudiants se sentent adéquatement situés dans la profession qu’ils désirent exercer.

Les cours autrefois consacrés à l’étude de la pathologie ont avantageusement été remplacés par des cours sur les nouvelles approches de développement du potentiel humain.

Les psychologues qui pratiquent suite à cette formation se considèrent mieux outillés et mieux positionnés face à leurs divers clients, qui les voient comme des aides dans leur démarche et leur accomplissement personnel.

 

m.jacques.lalanne@gmail.com

 

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